Malick Sidibé

Du dessin à la photo :
Malick Sidibé est né en 1936 à Soloba, un village situé à 300 km de Bamako, au Mali. Dès 1952, il étudie le dessin et l’art des bijoux à l’Ecole des Artisans Soudanais de Bamako, où il obtient son diplôme d’artisan-bijoutier. Puis il débute la photographie par un concours de circonstances, quand le photographe français, Gérard Guillat, cherchant un dessinateur, fait appel à lui pour décorer la devanture de son studio photo. Sidibé deviendra l’assistant de celui qu’on surnommait alors « Gégé la Pellicule », C’est ainsi que sa carrière de photographe démarre à la fin des années 1950, alors que Guillat immortalise les soirées mondaines de la société coloniale, Malick se focalise de son côté sur les « surprises-parties » de la jeunesse de Bamako et prend ses premiers clichés en noir et blanc plein de gaieté et d’authenticité vers 1955 - 1956. Mais il fait aussi des clichés de cérémonies traditionnelles et de la vie dans les campagnes. Déjà, quand il allait en vacances dans son village, il prenait des photos de sa famille. Pour lui, « Faire des photos, c’est comme écrire » aime t-il dire, et plus qu’un simple photographe de studio, il est aussi le reporter et le portraitiste de la population que constitue les jeunes Bamakois. Il réalise des reportages industriels ainsi que des séries sur les loisirs des jeunes.


Purement argentique :
Puis en 1958, dans le quartier populaire de Baganadji, il crée son propre studio : « le Studio Malick », toujours en activité mais beaucoup moins fréquenté. « Aujourd’hui, les gens ressentent moins le besoin de venir en studio puisqu’ils peuvent se procurer des appareils photos que je continue de leur réparer » explique-t-il, des boîtiers argentiques en tous genres qu’il répare et bidouille avec précision. Car bien sûr, Malick procède lui-même aux tirages de ses images. Chimiste avéré, il passe ses nuits dans son laboratoire pour y révéler des centaines de portraits en noir et blanc où chaque détail est étudié. Les photographies sont ensuite collées sur des chemises en carton qu’il expose dans sa vitrine. Son studio fourmille de boîtes en cartons pleines de pellicules : les archives visuelles de Bamako. D’ailleurs il souligne souvent qu’il n’apprécie pas les appareils photo numériques, et déclare à ce sujet : « On peut faire du faux et cela m’inquiète beaucoup. » On le comprend car Malick est un homme généreux, ouvert, sérieux, plein de joie, mais surtout authentique. Avec feu Seydou Keita, qu’il a peu connu mais beaucoup admiré, Malick Sidibé est l’une des figures emblématiques de la photographie malienne.


La période des indépendances :
L’histoire malienne est intimement liée à l’ascension de Sidibé dans le monde de l’image. En septembre 1960, le Mali accède à son indépendance, la jeunesse se libère et vit une folle liberté. Elle veut construire sa propre identité inspirée par les courants politiques afro-américains, les cultures cubaines, les modes américaines et européennes. C’est à ce titre et en photographiant cette époque des grands bouleversements que Malick offre une vision inédite sur sa société en cours de mutation. Il témoigne de cette libération joyeuse, festive et insouciante. Il circule alors sur sa bicyclette et va de fêtes en mariages, de baptêmes en anniversaires et de surprises-parties en bals populaires. Aucun évènement ne lui échappe, il photographie même des célébrations de réussite au bac. Ses clichés, pris sur le vif, sont en adéquation avec la spontanéité des personnes photographiées. Il restera célèbre pour avoir témoigné de la période des indépendances en figeant la jeunesse bamakoise entre la fin des années cinquante et le début des années soixante-dix. « C’est la période où la jeunesse malienne découvre la musique occidentale, le Twist, le Cha-cha-cha. Les bals populaires sont une occasion pour les jeunes gens de se rencontrer » déclarera-t-il. Alors que le nouveau gouvernement malien prescrit le bannissement de tout ce qui peut venir de France et des Etats-Unis, cette période est pourtant marquée par la mode yéyé, les guitares électriques, le rock & roll, les fringues, les voitures et les motos. A la radio résonne « Mali Twist » de Boubacar Traoré surnommé KarKar, le blouson noir. Les jeunes, principalement des zones urbaines, issus de la classe moyenne, s’ouvrent aux musiques et aux tendances occidentales. Après plusieurs années d’uniformisation et de moralisation à l’extrême des corps, la jeunesse revendique de nouvelles aspirations. Les corps sont libérés et les photographies de Sidibé témoignent d’une sexualisation des postures. Une sexualité en pleine révolution présente dans les séries prises sur les bords du Niger, où tous les dimanches, les clubs de jeunes se retrouvent pour se baigner et danser ... Entre 1966 et 1968, alors que le Mali est indépendant depuis six ans, le gouvernement engage des milices pour contraindre les jeunes « ennemis du socialisme » dont la morale et les valeurs sont remises en doute. Assassinats et tortures sont alors les peines encourues pour déroger aux règles imposées par Modibo Keïta. Les jeunes filles doivent abandonner la mini-jupe pour le long boubou traditionnel. Les jeunes garçons doivent retrouver une apparence plus virile, en adéquation avec les préceptes patriarcaux. Les vêtements sont déchirés, brûlés, les coupes afro sont tondues de force. Malgré tout, pendant deux ans, les soirées yéyé perdurent dans la plus totale clandestinité. Ceux qui ont dansé pour braver les milices sont de véritables résistants, que Malick Sidibé a accompagnés et photographiés, au péril de sa vie …


Quand sa renommée sort d’Afrique :
En 1994, il est découvert aux premières Rencontres de la Photographie africaine à Bamako, cet évènement marque le début de sa carrière internationale. Il devient également président du Groupement des Photographes Maliens, le GNPPM. Dès lors ses œuvres sont visibles dans les plus prestigieuses salles d’exposition du monde comme à la Fondation Cartier à Paris, au musée Guggenheim à New-York ou à la National Portrait Gallery de Londres. En 1998, André Magnin, spécialiste de l’art contemporain africain, lui consacre une biographie. Il est officiellement depuis 2002 Chevalier des Arts et Lettres de l’ordre du mérite français. Puis Malick Sidibé est le premier photographe africain à recevoir le Prix international de la photographie décerné par la fondation Hasselblad, à Göteborg en 2003. Ce prix a déjà consacré les plus grands photographes de la planète comme Richard Avedon, Jeff Wall ou encore Cindy Sherman. D’ailleurs à cette occasion, Malick alors âgé de 67 ans ne cachait pas sa fierté, après une carrière de près de cinquante ans : « C’est une grande surprise. Je suis très fier et très content. Cela veut dire que mon travail est d’une certaine manière reconnu ». Cette récompense était dotée de cinq cent mille couronnes suédoises de l’époque, soit environ de 36,5 millions de Francs CFA. En 2007 il reçoit un Lion d'or pour l’ensemble de sa carrière à la Biennale de Venise.


Malick Sidibé n’a hélas pas de site photo personnel, mais j’ai pu trouver quelques raretés ici : http://www.holott.org/malicksidibe/ et ici : http://www.caacart.com/html/Malick-Sidibe/


Quelques unes de ses photographies sont dans le portfolio :