Un parcours marqué par la réussite :
Lewis Baltz est né à Newport Beach, en Californie aux États-Unis, en 1945, il vit et travaille à Paris et à Venise. En 1969, il sort diplômé du San Francisco Art Institute en validant un Master of Fine Arts de la Claremont Graduate School. Il a obtenu plusieurs récompenses et bourses dont celles du National Endowment for the Arts en 1973 et en 1977, du John Simon Guggenheim Memorial en 1977, de l'US-UK Bicentennial Exchange en 1980 et du Memorial Award de Charles Brett en 1991. En 2002, il devient professeur de photographie à l'European Graduate School à Saas-Fee en Suisse. Son travail a été présenté dans de nombreuses expositions dans le monde entier comme le Centre Pompidou à Paris, le Museum of Contemporary Art à Helsinki, au San Francisco Museum of Modern Art et au The Whitney Museum of American Art à New York. Ses œuvres sont visibles également à la George Eastman House. Il meurt fin 2014 chez lui à Paris alors âgé de 69 ans, laissant derrière lui l'une des œuvres photographiques majeures du 20ème siècle.
Des séries majeures :
Avant tout, pour bien comprendre l’œuvre de Lewis, je pense qu’il faut la replacer dans le contexte de son époque. J’ai retrouvé une déclaration datant de 2013 très intéressante dans laquelle Lewis Balz évoque ce qui l'animait dans son travail : « J'ai grandi dans une ville d'une laideur atroce, où tout était de mauvaise qualité, pas cher… J'ai voulu tendre un miroir, fournir des pièces à conviction. » On ressent une certaine envie de revanche sur son enfance dans ses propos et on remarque la connotation d’une terminologie propre à un procès intenté contre la société toute entière. En effet, dans les années 1960 la modernité était synonyme d'urbanisation anarchique, dénuée de toute vision architecturale soignée, et encore plus de ce qu’on nommerait aujourd’hui, politique d’urbanisation. La construction de « boîtes » était de mise et peu importait le bonheur des gens qui y vivraient, il fallait faire face à la démographie galopante en produisant en masse et en construisant vite et pas cher. Baltz exprime clairement sa motivation dans la souffrance d’avoir dû vivre dans de tels endroits impersonnels laids sans âme. Il allait donc les photographier et tirer sa revanche sur eux en les utilisant comme il avait été le joué de ces masses informes et immondes…
C'est en 1967 lorsqu'il est étudiant des Beaux-arts que Baltz s'éprend des petites choses qui l'entourent, des changements insignifiants mais sournois qui façonnent son quotidien. Pour sa série « The Prototypes Works», il parcourt sa Californie natale en tentant de porter un regard neuf sur ce qu'il y a si souvent vu. Par exemple ces panneaux publicitaires, qui depuis quelques temps remplacent les arbres sur le bord des routes. Au premier regard, les images de Lewis ont quelque chose d'austère, pour ne pas dire d'hostile. La preuve dans sa série la plus ancienne et la plus célèbre, « The Prototype Works » (1967-1976) qui regroupe des maisons anonymes, sans caractère, découpées par des cadrages d'une précision chirurgicale et glaçante. Fenêtres rectangulaires, murs lisses, cheminées de briques… C'est la Californie telle que l'artiste, figure majeure et discrète de la photographie américaine, l'a vu changer dans les années de sa jeunesse. Finis les paysages naturels grandioses chantés par toute une tradition d'artistes comme Ansel Adams. La série « New Industrial Parks » réalisée en 1974 a valu à Lewis Baltz d’entrer dans le mouvement de la "nouvelle topographie" qui révolutionne le concept de la photographie classique de paysages. Ce style se focalise sur des vues urbaines et industrielles, sujets, jusque-là indignes parce que banals et trop modernes.
Le style Baltz :
Dans ce contexte d’après guerre de plus en plus industrialisé, il consacre son temps à la photographie d’architecture ou l’homme n’a apparemment pas sa place. Ce que révèlent les images de Lewis Baltz, c'est une redondance extrême de bâtiments d'usine insipides, de cadrages strictes et rigoureux qui épousent des formes elles même rectilignes et nettes, ou d'appartements impersonnels de banlieue. A l'heure de la production en série d'objets manufacturés, ces constructions impersonnelles envahissent la vie des Américains et la rendent banale et transposable d'un endroit à un autre. Bien que ses clichés soient assortis d'une description du lieu de prise de vue dans la plupart des titres, elles ne semblent pas avoir d’identité géographique. L’autre particularité du travail de Lewis est l'absence de présence humaine et animale qui enlève toute appartenance identitaire ou régionale. Il confère à ses clichés une uniformité impénétrable, le regard buttant sur un sujet plat au-delà duquel toute projection parait impossible. D’ailleurs la rareté voire souvent l’absence de présence de ciel renforce ce sentiment. Par ailleurs, Lewis est l’un des précurseurs de la série photographique en tant qu’entité unique, il présente des images comme un ensemble d’instantanés inséparables et indissociables les uns des autres. L'immobilité, l’impersonnalité, l’intemporalité, la rigueur géométrique, le graphisme et les textures renforcées par une luminosité parfois austère caractérisent ses séries en noir et blanc. Pour arriver à ce rendu très particulier Baltz ne se cache pas, avoir eu recours aux techniques photographiques utilisées dans la promotion commerciale afin de donner un aspect lustré et désaffecté à ses photographies. Rien n'est laissé au hasard, et pourtant rien n'est artificiel, il retient juste le bon moment pour déclencher et l’angle idéal en utilisant simplement l’élément naturel que représente la lumière matière première de tout photographe maîtrisant son art.
On remarque enfin la forte influence de l’art minimaliste des années 60 dans l’œuvre de Baltz qui arrive à faire oublier au spectateur le sujet présenté au profit de l'objet photographique lui-même. L’image n'est plus un miroir de la réalité mais un monde en soi en tant qu’entité autonome. Il n’y a aucune profondeur dans ses images, les vitres aveugles sont d'un noir profond qui ouvre sur l'abîme, les murs ressemblent à des écrans vides, d'un blanc éblouissant… En cela il rejette, les trois dimensions en produisant des clichés lisses et plats qui n'en sont pas moins, et étonnamment, hypnotiques. En parallèle, il insiste sur les textures en ayant recours à diverses techniques comme parfois à la saturation des tons ou à la sous-exposition comme à la sur- exposition afin de booster l'attractivité des surfaces, au détriment du sujet montré. Enfin, j’ai appris qu’il présentait ses tirages sur un support très épais afin de bien décoller l’œuvre des murs et d’en faire ainsi une véritable sculpture.
Vous pouvez voir le travail de Lewis Baltz sur http://www.geh.org/ar/strip87/htmlsrc2/baltz_sld00001.html ou sur http://www.galeriezander.com/en/artist/lewis_baltz