Raymond Cauchetier est né à Paris en 1920 dans le 12eme arrondissement. Élevé dans un milieu modeste par sa mère qui était veuve, il n’a jamais connu son père. Il décroche tout de même son certificat d’études. En 1931, à 11 ans il a une vue plongeante du 5ème étage sur l’Exposition Coloniale depuis la fenêtre de la cuisine de l’appartement familiale. Chaque soir, il découvre le magnifique temple d’Angkor Vat, reconstitué qui s’illumine. Il rêve alors d’aventures dans la jungle parmi les éléphants et les tigres. Bien des années plus tard, ce rêve deviendra réalité puisqu’il ira effectivement à Angkor, reçu par le roi du Cambodge, et ramènera une tigresse à Paris…
La débâcle :
En 1940, il a 20 ans, c’est la débâcle et il fuit Paris en bicyclette pour échapper aux Allemands. Il se réfugie dans les Chantiers de Jeunesse. En 1943, il entre en contact avec le Corps Franc pyrénéen d’André Pommiès. Il participe en 1944, à la reconquête du territoire avec ce groupe de résistance du sud-ouest. Blessé dans les Vosges, c’est le bras en écharpe qu’il intègre l’Ecole des Cadres de la 1ère Armée, d’où il sort aspirant, juste à temps pour participer à la campagne d’Allemagne, au sein de la 3ème Division d’Infanterie algérienne. Rappelé dans l’Armée de l’Air en 1945, il est affecté à l’état-major de Dijon, où pour s’occuper, il imagine de redonner vie aux aéro-clubs locaux désertés depuis la guerre. Ses initiatives sont remarquées en haut lieu, et il est appelé à Paris pour créer le réseau des officiers de presse des unités aériennes.
La guerre d’Indochine :
A cette époque il rêve toujours d’Indochine et emprunte parfois un Rolleiflex pour faire des photos de vacances, car il n’a pas les moyens d’acheter son propre appareil. En 1951, il est muté à Saigon, qui se trouve à une heure de vol d’Angkor ! Les attentats commencent à se multiplier au Tonkin, c’est le début de la Guerre d’Indochine, qui ne se terminera qu’à Diên Biên Phu. Son expérience parisienne lui permet de créer les services de presse des unités de l’Armée de l’Air en Indochine, qu’il visite du nord au sud. Chargé d’une émission hebdomadaire à la Radio de Saigon, il jouit d’une certaine popularité. Un jour le Général Chassin lui demande de chercher dans les unités un photographe capable d’illustrer un album photo destiné au personnel des unités aériennes. Mais aucun candidat ne se manifeste. « Débrouillez-vous, Cauchetier » lui dit-il ! « Essayez de faire les photos vous-même. Ça ne doit pas être bien difficile ». Il achète donc son premier Rolleiflex, l’appareil utilisé à l’époque en Indochine par tous les correspondants de guerre, et commence à photographier ce qui l’entoure.
Le général de Gaulle décorera Raymond Cauchetier de la Légion d’honneur, pour tous les dangers encourus. Il échappe au désastre de Diên Biên Phu à cause de la piste qui, bombardée, étant devenue impraticable pour que son avion s’y pose. Il sera donc « déposé » au milieu des camps retranchés encerclés par les divisions Vietminh à Hoa-Binh, Na-San ou Diên Biên Phu, afin de témoigner par l’image et le micro, de l’importance décisive de l’appui aérien dans les grandes opérations en cours. Ses photos de la bataille de Na-San seront légendaires et son radioreportage fera grand bruit.
Il tombe amoureux du Viêt-Nam, du Laos et du Cambodge Dès qu’il a un instant de libre, il immortalise les villes, les gens et les paysages. Il entasse toutes ces photos dans des cartons. Il quitte l’armée en 1954 alors qu’il est promu capitaine ; La guerre est finie !
Nouvelle Vague :
Il décide de rester en Indochine et se lance dans une carrière de photographe. Son premier album, « Ciel de Guerre en Indochine » rencontre un beau succès. Il rentre à Paris plein d’espoir et espère secrètement devenir reporter à Paris-Match. Il obtient un rendez-vous et arrive avec ses meilleures photos. Son interlocuteur repousse le tout en déclarant : « Maintenant, Monsieur, tout le monde fait de bonnes photos. La seule chose qui compte, c’est de savoir par qui vous êtes recommandé ! ». Il n’était pas recommandé...
De retour à Angkor, c’est en 1956 qu’il reçoit une proposition pour faire les photos du film « Mort en Fraude » que Marcel Camus va tourner en Indochine. Il n’est pas choisi pour son talent, mais pour économiser le voyage d’un photographe depuis la France. Raymond Cauchetier fait ainsi ses débuts dans le monde du cinéma, sans se douter qu’il allait bientôt illustrer la révolution cinématographique appelée « La Nouvelle Vague ».
En 1959, Jean-Luc Godard se lance dans le tournage de « A Bout de Souffle ». Un souffle nouveau bouleverse le monde du cinéma. Godard bouleverse les règles du cinéma de ses parents. C’est à ce moment que Cauchetier réalise un reportage au jour le jour, de ce tremblement de terre tout en se gardant de faire état des succès déjà obtenus en Indochine. D’ailleurs, il dérange, on lui reproche sévèrement ses initiatives, et son style chasseur d’images, si éloigné des normes de la photo de plateau. C’est ainsi que Raymond sera surtout connu pour avoir été photographe de plateau de 1959 à 1968 sur un grand nombre des films de la Nouvelle Vague…
Retour en Indochine :
En 1967, Cauchetier repart en Indochine, où le roi du Cambodge Norodom Sihanouk, séduit par les photos de l’album Saigon, lui demande de photographier son pays, dans le cadre d’une vaste opération de promotion touristique. Les grands moyens sont mis à sa disposition pour réaliser sa mission (voitures, avions, hélicoptères...) Pendant deux mois, il parcourt le pays. Quand le roi découvre le résultat il lui remet l’une des plus importantes décorations khmères. Le roi du Cambodge fait même construire un coffre-fort climatisé pour mettre à l’abri du climat tropical ses négatifs. Plus tard, les Khmers Rouges vont déferler sur le Cambodge, et feront régner la terreur. Ils prennent Phnom-Penh en 1975, et s’installent au Palais Royal. Ils trouvent le coffre-fort, le font sauter à la dynamite. Tout son contenu est brûlé. Il ne restera rien des quelques 3 000 photos.
Voyages autour du monde :
En 1967, lorsqu’il revient en France, les éditions Rizzoli lui commandent des reportages, dans le cadre d’une série consacrée aux grands Monuments du Monde. Raymond Cauchetier sillonne l’Europe et le Moyen-Orient, découvrant la vieille ville de Damas, les ruines de Palmyre, et surtout les monastères du Mont Athos, où il passe une semaine, à parcourir à pied une incroyable péninsule totalement dépourvue de route.
En 1992, un évènement inattendu vient de nouveau bouleverser son existence. Une loi est votée sur la propriété intellectuelle, qui a pour conséquence de donner aux photographes de films tous les droits sur les photos qu’ils ont prises en tant que salariés. Il revendique la propriété de ses photos de reportage, et propose donc aux productions de leur rendre tous les droits sur les photos de scènes, en échange de la restitution des négatifs de ces photos personnelles, qu’elles détiennent toujours, de façon d’ailleurs totalement illégale.
A l’heure où je rédige cette biographie, Raymond Cauchetier vient d’avoir 100 ans, le 10 janvier 2020 ! Il reste l’un des grands portraitistes d’aujourd’hui et du siècle dernier. Difficile à classer dans un style, si ce n’est qu’il travaille exclusivement en noir et blanc, il est à la fois photographe humaniste, reporter de guerre, explorateur de l’Asie, et portraitiste du cinéma. C’est ce dernier trait que je retiens de lui, car ses portraits, qu’ils soient de la nouvelle vague, du Cambodge, du Laos, du Vietnam ou de l’Indochine, sont la preuve d’une passion pour l’autre. Ce modèle qu’il cherche à figer sur la pellicule de la meilleure et de la plus simple des manières afin de le mettre en valeur.
Le site de Raymond Cauchetier est ici : http://www.raymond-cauchetier.com/