Edward Sheriff Curtis

Edward Sheriff Curtis est un photographe et ethnologue américain mort en 1952. Né en 1868, l’année du traité de paix signé par le chef Sioux Red Cloud à Fort Laramie, Edward vécut cinq ans dans une ferme du Wisconsin avant que sa famille n’emménage dans le Minnesota. Son père, aumônier et prédicateur, revenu invalide de la Guerre de Sécession, l’emmena régulièrement dans de longs voyages exploratoires, ce qui l’habitua très jeune à une vie de découvertes et de liberté. Après six années d’études, une caméra construite de ses mains d’après un manuel de 1888, voilà le jeune homme engagé comme apprenti dans le studio d’un photographe de Saint-Paul. Agé de vingt ans à la mort de son père, Edward est obligé de prendre en charge sa famille, se faisant tour à tour engager comme laboureur, pêcheur ou mineur… Puis il retourne à la photographie, devenant avec le temps l’un des meilleurs portraitistes de Seattle. Dans son studio, il produit des clichés sophistiqués de ladies en robe du soir, d’hommes d’affaires et d’enfants endimanchés. Sa réputation s’étend : de passage à Seattle, l’étoile Russe Anna Pavlova, le prix Nobel de littérature Rabindranath Tragore ou le fameux Chef Joseph des Nez-Percés, viennent tour à tour poser devant son objectif.


Curtis n’abandonne cependant pas ses premières amours, son goût des voyages, des paysages et des rencontres. Régulièrement, il part pour de longues randonnées, photographiant les sociétés Indiennes qui vivent encore relativement protégées aux alentours de Seattle. En 1898, il croise une expédition scientifique égarée qu’il ramène à bon port. Parmi le groupe, deux hommes éminents découvrent alors son travail : Clinton Hart Merriam, zoologiste et chef du département de biologie du ministère de l’agriculture, et George Bird Grinnell, anthropologue spécialiste des Indiens. Grâce à eux, Curtis est nommé photographe de l’expédition Harriman envoyée en Alaska en 1899, avant de partir avec Grinnell vivre parmi les peuples du Montana. Son chemin est désormais tracé : il consacrera sa vie et son temps à photographier tribus et coutumes, avec le souhait d’en apprendre le plus possible sur les peuples natifs de son pays. Il a eu comme ambition d'entreprendre l'inventaire photographique exhaustif des indiens de quelques 80 tribus parmi toutes celles qui existent. Cette population indienne qui était alors estimée à plus d'un million d'individus au XVIIIe siècle était descendue aux alentours de 40 000 lorsqu'il débuta son projet. En fait, il ne s'intéressa guère à ceux qui présentaient des signes trop évidents d'acculturation. Il exigeait de ses modèles une certaine pureté des mœurs. Son projet était soutenu par le grand industriel, magnat des chemins de fer et financier new-yorkais John Pierpont Morgan et par le président Theodore Roosevelt lui-même.


De 1907 à 1930 a eu lieu une véritable épopée historique et photographique. Parmi les tribus que Edward Sheriff Curtis visite on en compte certaines peu connues, comme les Kwakiutl, les Hopis, les Pueblos, les Blood, les Blackfeet ou les Algonquins du Montana... Un journaliste écrira : « Il devint un Indien. Il vécut, il parla indien et fut une sorte de Grand Frère Blanc. Il passa les meilleures années de sa vie, comme les renégats d'autrefois, parmi les Indiens. Il découvrit d'anciennes coutumes tribales. Il ressuscita de fantastiques costumes d'antan... ». Avec les années, les Indiens finissent par l’accepter, puis par souhaiter les visites de cet homme étrange. Eux aussi ont leur vision de lui : pour les Hopi, qui le voient un soir gonfler son matelas pneumatique avant de se coucher, il sera « L’Homme-qui-dort-sur-son-souffle ». Mais au-delà de la plaisanterie, tous pressentent que le travail réalisé par Curtis deviendra, un jour, un accès indispensable à la mémoire de leur civilisation, entièrement basée sur des traditions orales, inéluctablement condamnée à disparaître.


De ce travail de recensement titanique parut, aux Etats-Unis, la plus grande encyclopédie consacrée aux peuples natifs du continent Nord-Américain. Y était enregistré tous les aspects de la vie dans toutes les tribus demeurées à un stade primitif, afin d'immortaliser ce qui pouvait être sauvé de ces cultures sur le point de disparaître, dans leur forme originelle. En tout, l’encyclopédie compta vingt volumes intitulés « The North American Indian », comprenant environ 4 000 pages de textes et 2 500 photographies, issues des 50 000 prises par Curtis. Dans ce travail d'une vie, Edward S. Curtis a mis au service de la science ses dons d'artiste, ce qui confère à son œuvre non seulement des qualités ethnologiques, mais aussi artistiques et même spirituelles. Chacun volumes de son énorme travail est accompagné d’un portfolio séparé contenant à peu près trente-six photogravures d’une qualité remarquable. Ses photographies restituent la beauté et la grandeur d'un univers aujourd'hui mythique. A travers son objectif, Curtis a saisi les visages, les attitudes, les rites, les scènes de la vie quotidienne et de l'intimité, mais aussi les paysages, le cadre de vie et l'habitat des tribus indiennes. Son œuvre est un élément majeur de l'histoire des Etats-Unis, mais elle constitue aussi un évènement et une première dans l'histoire de la photographie. Pourtant, cette encyclopédie ne se vendit qu’à un volume proche des 300 exemplaires seulement ! L’époque, malgré le soutien et l’intérêt de certains intellectuels, ne se préoccupait guère de savoir qui étaient les premiers habitants du pays. De plus la sauvagerie apparente largement relayée par la presse de l’époque et les rites incompréhensibles des indiens faisaient plus peur qu’autre chose…


Enfin je vous recommande ce magnifique site sur lequel sont répertoriées des centaines d’images classées par tribu, par mot clé et par époque : http://www.alienor.org/publications/curtis/


Quelques unes de ses photographies sont dans le portfolio :