Chris le photographe :
Citoyen canadien, photographe et écrivain, Chris Rainier est considéré comme l'un des plus grands photographes documentaires contemporains. Il est clair que son curriculum vitae en jette, car il a été le dernier assistant d’Ansel Adams qu’il a accompagné de 1980 à 1984, année de la disparition du maître des paysages. Comme son mentor, Rainier a un rapport presque fusionnel avec la photographie en noir et blanc. Il a photographié de nombreux conflits, des guerres civiles, des catastrophes naturelles et les famines en Somalie, en Bosnie, au Soudan, en Éthiopie, au Cambodge ou en Irak. Il a promené ses objectifs dans sept continents, faisant de vastes expéditions à travers le pôle Nord, l'Afrique, l'Antarctique ou la Nouvelle-Guinée. Mais avec le temps, moins attiré par les paysages que son maître, il trouve son inspiration dans la représentation du corps humain et se spécialise dans le portrait. Pas n’importe quel portrait d’ailleurs, il s’intéresse aux visages et aux corps des cultures autochtones en voie de disparition dans des régions sauvages et difficiles d’accès.
Photographier la langue :
Chris a travaillé plus de 10 ans sur les cultures de Papouasie-Nouvelle-Guinée et a visité une vingtaine de pays, avant de rejoindre le programme « Enduring Voice » (voix résistantes). L’objectif de ce projet étant de recenser et d’enregistrer des milliers de langues sur le point de disparaître et par conséquent de participer à leur protection. De l'Inde au Paraguay, Rainier se lance un véritable défi qui est de photographier l'essence du langage. Accompagné de deux linguistes, il photographie des indigènes habitant à la frontière nord-est de l'Inde qui parlent un langage sur lequel il n'existe aucune documentation. Il enregistre une cérémonie shamanique dans la région du Pantanal, au Paraguay, il filme les danses initiatiques de tribus de Papouasie Nouvelle-Guinée. Chris s'est fixé pour but de photographier les traditions de cultures menacées d'extinction avant qu'elles ne soient perdues à jamais, sachant que plus de 50% des 7 000 langages existant à travers le monde pourraient disparaître avant la fin du siècle. Avec la mort de ces langues orales, s’éteindront une riche couche de la connaissance, de la sagesse et de la compréhension profonde du monde qui est simplement transmise de génération en génération via d’anciennes histoires racontées autour du feu. Face à cet état de fait, Chris prend position et utilise les technologies modernes (caméras, appareils photos, ordinateurs, Internet …) de manière innovante pour raconter les histoires anciennes du monde et les transmettre aux générations futures.
Photographier le corps :
Dans les années 90, en parcourant le monde pour faire une chronique sur le déclin des cultures autochtones, il s'intéresse au traditionnel tatouage né au Groenland pour atteindre avec le temps la Thaïlande. Il travaille également dans le même temps sur la scarification, une pratique fréquente en Afrique occidentale, un art voisin et assez proche du tatouage voué à l’embellissement du corps et de l’esprit. L'acte de scarification, comme celui du tatouage d’ailleurs, est un rite d'initiation en soi. Un tel acte prouve chez de nombreux peuples la capacité à tolérer la douleur. Parfois, la beauté physique devient inséparable de la souffrance personnelle. Dans les pays de l’ouest-africain comme au Togo ou au Burkina Faso, où la scarification est très présente, le plus bel homme d’un village est inévitablement le plus marqué. La beauté se mérite et se mesure au nombre des cicatrices. La mission qu’il s’est fixée est de photographier l’homme dans son milieu naturel et ses traditions afin d'utiliser ces images pour changer les mentalités. Vaste projet me direz-vous !
Chris Rainier explore le lien intrinsèque entre la culture de l'humanité et la vieille tradition qui consiste à marquer le corps humain. Cette pratique date de plus de deux mille ans, avec les premiers tatouages et scarifications utilisés comme rites initiatiques. La première trace écrite sur le tatouage enregistrée par l'occident en 1769 est un témoignage de Joseph Banks, naturaliste embarqué sur le « Endeavour » un navire britannique. Il a écrit un descriptif de cette pratique polynésienne du tatouage en observant une fillette de 12 ans largement ornée. Elle était maintenue par deux femmes, la jeune fille gémissait et se tordait, « Les tatouages étaient faits avec un grand instrument d'environ 2 pouces de long contenant environ 30 dents », écrit-il dans son journal. « Chaque application de l’outil faisait jaillir le sang. », le marquage a duré plus d'une heure. Les marins semblent avoir été les propagateurs de cet art en Europe, la puissance coloniale a étendu sa portée dans le monde entier. Peu à peu, les tatouages étaient la marque des marins indisciplinés et aussi l’image du charme subversif. Dans les années 1900, la marquise de Londonderry se fit tatouer un serpent, une étoile et un blason sur sa jambe, et le roi George V arbora un dragon de style japonais… Cette tradition s’est poursuivie dans nos cultures modernes contemporaines. Ce projet sur les marques antiques, à travers la photographie et les textes, est destiné à retranscrire le besoin de l'homme d’orner le corps humain. La forme humaine, qu'elle soit des forêts de l'Amazonie, de l'Arctique, ou de la Polynésie est devenue grâce à cet art une véritable cartographie des cultures et des mythes exprimée par la simplicité des formes peintes, sculptées, incisées ou gravées sur la peau.
Chris Rainier a vu la chair nue gravée par les outils les plus grossiers (vieux clous, bâtons de bambou pointus, dents barracudas...) L'encre peut être un simple jus de canne à sucre mélangé avec de la suie d’un feu de camp, l'important étant surtout la signification cachée derrière les dessins. Les immigrés samoans, les Mara du Savadore, les membres des gangs, les Latinos ont tous leur propre esthétique du tatouage et leurs codes. Pour National Geographic, Chris et le réalisateur Ethan Boehme sont allés découvrir les tatouages des moines bouddhistes d'Angkor au Cambodge, la capitale de l'empire khmer du 9ème au 15 ème siècle. En Nouvelle-Guinée, un tourbillon de tatouages sur le visage d'une femme Tofi indique sa lignée familiale. Les gribouillages sombres sur la poitrine d'un moine cambodgien reflètent ses croyances religieuses. Les tatouages tentaculaires des membres d'un gang de Los Angeles décrivent son affiliation à la rue, et peuvent même révéler le nombre de ses victimes. Les toiles d'araignées des Mentawai vivant sur l'île indonésienne de Siberut sont les échos des formes et des ombres de la forêt et sont destinées à ancrer l'âme dans le corps et à attirer les esprits bienveillants. Quand un chef maori en Nouvelle-Zélande ou un seigneur japonais d'une mafia est tatoué le marquage exprime une identité indélébile. Rainier dit à propos des tatouages qu’ils évoquent qui nous sommes et ce que nous faisons. Pour lui, la peau vierge n’est autre qu’un canevas pour une histoire. Chris est également fasciné par la folie du tatouage aux États-Unis qui se manifeste partout du festival d'art de l'homme au Nevada, à la côte du Pacifique sur les plages de surf en passant par le Midwestern dans les centres commerciaux. Autrefois observé uniquement dans quelques cultures minoritaires éloignées, le tatouage est devenu aujourd'hui monnaie courante. Par exemple aujourd’hui 40% des américains âgés de 26 à 40 ans sont tatoués.
Publications :
Ses photographies sont publiées dans le Time, Life, Smithsonian, le New York Times et National Geographic. Il a remporté de nombreux prix avec ses clichés, dont le prestigieux prix Lowell Thomas proposée par le Club des Explorateurs pour les histoires d'aventures. Les prises de vue de Rainier sont exposées et collectionnées dans les musées du monde entier comme l'Australian Museum de Sydney, la Bibliothèque Nationale de Paris, l'International Center of Photography à New York, la Eastman House International Museum à Rochester. Parmi ses livres, trois sont marqués du sceau du succès : « Gardiens de l'esprit », « Masques Still Dance: Nouvelle-Guinée » et « Les marques anciennes ».
Chris est aussi le directeur du Geographic All Roads Programme National de Photographie, spécialisé dans les cultures autochtones. Il est également rédacteur pour le magazine National Geographic Traveler, il contribue en tant que photographe au magazine National Geographic Adventure, il est correspondant pour « La fête de NPR », une émission de radio Day. Enfin, Rainier dirige « Voices Project Enduring » de National Geographic, qui recense et documente les langues les plus menacées de la planète.
Ses sites Web sont http://www.chrisrainier.com/ et http://www.ancientmarks.com/index.php