Un jeune retraité :
Gilbert Garcin est né à La Ciotat en 1929, durant la plus grande partie de sa vie, il sera le chef d’une petite entreprise de luminaires. Il va vendre des lampes de style, des lumières artificielles, des lustres à pampilles et des lampadaires high tech. En 1989, alors qu’il atteint l’âge de la retraite, Gilbert ouvre un nouveau chapitre de sa vie. Plutôt que d’aller à la pêche ou de faire des mots croisés, il s’est installé dans son cabanon et s’est mis à raconter des histoires par le biais de l’image. Et d’où lui était venue cette soudaine envie de créer ? Il sourit, prend le temps de répondre: « Je ne sais trop, mais je pense que c’était latent. J’avais suivi un stage de montage photographique à Arles associant le bricolage à la photo et ça m’avait beaucoup plu. J’avais aussi le sentiment d’avoir un grenier de souvenirs en tête dans lequel je pouvais puiser. » Cet extrait d’un article d’Yves Gerbal décrit parfaitement les débuts d’un homme humble sympathique, timide mais plein d’humour, Mister G : « En mars 1995, je reçus au courrier du magazine marseillais -dont on m’avait confié la rubrique arts visuels- un portfolio accompagné d’un petit mot très humble me demandant si je voulais bien porter mon regard critique sur ces images. Surpris d’abord par le « modèle » photographié je fus néanmoins d’emblée saisi par l’efficacité symbolique de ces photos et leur savant mélange d’humour et de gravité. J’appelai l’auteur, en me demandant si le modèle omniprésent était aussi le photographe. Quelques jours plus tard nous mangions ensemble au restaurant Gatto Blu qui accueillait sur ses murs des œuvres d’artistes amateurs. Gilbert Garcin n’avait alors jamais exposé sinon dans les locaux d’un photoclub à Aix-en-Provence. Sa deuxième exposition eut donc lieu en toute simplicité dans ce restaurant, en même temps que dans le hall d’accueil d’un lycée tout proche. Ce fut pour moi l’occasion de consacrer un premier texte à Gilbert Garcin. Je ne savais pas que c’était le premier d’une longue série. Je ne savais pas encore que cet homme qui était une image allait devenir une légende… En 1999 Gilbert Garcin publie son premier livre photo « La vie est un théâtre », puis « Simulacre » en 2002 et en 2005 « Le témoin » suivi de « Tout peut arriver » qu’il publie en 2007. La consécration arrive avec « Mister G » l’album rouge en 2009, qu’il réédite et enrichit en 2011 avec « Mister G » l’album bleu.
Sa méthode :
Gilbert Garcin nous conduit dans des territoires fantastiques : ceux de la vie qui s’écoule, du temps qui passe, de nos rêves et de nos illusions. Utilisant des objets réels qu’il met subtilement en scène grâce à d’astucieux bricolages, l’artiste nous invite au dialogue et à la réflexion sur notre condition humaine. Dans chacune des photographies de Mister G, presque toutes des autoportraits, vous trouverez le photographe lui-même, sous forme miniature, se mettant en scène la plupart du temps seul et luttant, armé d’un humour absurde, contre les forces de la vie. Gilbert Garcin crée inlassablement, multipliant les croquis pour ensuite construire de petites maquettes qu’il allie à ses photographies. Chaque photographie commence par une idée, attrapée au vol en une seconde mais longuement mûrie par 80 ans de vie auxquelles s’additionnent 55 années de mariage avec Monique. Sa démarche est simple et économique : après quelques réflexions humanistes, ou à partir de recherches sur des thématiques universelles, qu’il pourrait éventuellement désirer incarner, il se donne pour tâche de réaliser quotidiennement des croquis de situations au potentiel emblématique ainsi que des photos de lui-même en correspondance. Puis, c’est le temps du « bricolage » à l’égal de celui des studios hollywoodiens. Par l’installation des éléments à l’échelle d’une table, Gilbert fait des miracles dans une maquette construite avec des matériaux basiques. S’armant de sable, ficelle, cordelettes, encre, papiers, bouts de bois, cailloux, cartons, colle et ciseaux, il «bricole». Il se sert de sa figurine découpée et parfois de celle de sa femme en la (les) plaçant dans le décor. Enfin, il réalise un mini reportage photographique éclairé par deux vagues spots de jardin dans le minuscule cabanon de son grand-père à La Ciotat. Alors, il photographie et se promène dans le champ de ses pensées manipulant les objets-symboles. La magie opère. Exigeant sur le fond et dans la forme, le photographe ne gardera qu’une seule image. L’idée révélée au regard des autres, l’œuvre est née. La silhouette de l’objet/sujet Garcin a pénétré l’image avec sa complice de toujours, Monique. Mais ils ne sont ni Gilbert, ni Monique. Ils sont acteurs de situation, figurants de l’illusion. Ils nous représentent : observateur, acteur, victime ou maître du monde se confrontant au temps et aux choses. Dans sa boite à outils, Garcin possède une gamme d’objets symboliques qu’il réutilise à souhait pour mettre en scène le théâtre de ses songes: sa grande bobine de ficelles pour l’écoulement du temps, de grands cadres de photos d’où il contemple son passé et une série de marionnettes en papier pour peupler ses rêves. Déclencheur de conscience, jongleur d’idée, amuseur spirituel, Garcin projette ainsi le spectateur dans l’image, au cœur d’un véritable spectacle philosophique accessible à tous.
Son message :
Très souvent, on demande à Gilbert Garcin comment il pratique la photographie ; son procédé intrigue. Comment fait-il ? Mais, pour lui, l’essentiel n’est pas là : « En effet, ce qui est important c’est le Pourquoi. C’est difficile de répondre mais je pense, qu’avant tout, j’ai un besoin de communication. Alors qu’à un certain âge, les contacts peuvent se raréfier la photographie est, pour moi, un moyen de multiplier les contacts et d’aller à la rencontre des autres. Il y a probablement en moi un refoulé qui aurait aimé dire et décrire un certains nombre de choses. » Le génie de l’artiste est d’aller au-delà des mots. L’image parle pour lui ; elle est universelle, polyglotte et immédiate dans sa lecture. Plus que des photographies, les tableaux de Garcin sont de véritables images, de l’importance de celles d’Epinal, estampes qui célébraient, instruisaient et divertissaient. Parfois devinettes visuelles, on les admirait de génération en génération pour y découvrir, à chaque fois, de nouvelles choses. On retrouve, dans les photographies de Garcin, ce jeu populaire de l’œil et de l’esprit, accessible à tous, à la fois universel et intemporel. Ainsi, comme à la veillée, on parle de ses images, on débat, on s’en amuse mais on réfléchit aussi. Les œuvres de Garcin invitent au dialogue : « Chaque image est l’occasion d’échanger avec les autres. Si vous regardez mes images dans lesquelles j’apparais, chacun peut tout de même s’identifier au personnage que je joue. Il n’est en aucune manière question d’autobiographie. Dans ce sens, je représente la vie des autres. ». Gilbert Garcin ne cherche pas à réaliser des autoportraits mais utilise un personnage représentant l’homme en général, donc chacun d’entre nous, chaque observateur. Ses clichés sont toujours en noir et blanc avec une charge mélancolique incroyable, une sensibilité face à la fatalité de la vie qui vous kidnappe le regard. Sa démarche accomplie, et au terme d’une sélection drastique, il se décide pour une seule image, et encore pas toujours, car l’échec est souvent au rendez-vous, comme le précise Gilbert Garcin en créateur philosophe. Chaque année depuis la fin 90 ont émergé ainsi entre dix et quinze photographies, selon le succès du cheminement artistique, et après 20 ans de travail assidu s’est constitué une collection impressionnante de plus de 400 cents photographies. Voici une ode à notre bonne vieille technique argentique qui a tendance, de nos jours, à se faire marcher sur les plates bandes par le numérique, ce prétentieux rat de l’informatique qui nous ment ! Il pourrait utiliser d’autres moyens techniques, d’autres procédés visuels, plus virtuels, électroniques et informatiques. Mais il préfère se confronter au réel : « Il y a une différence fondamentale entre les images de synthèse informatique et celles que je fais. Dans mes images, tout est réel. Il n’y a rien d’inventé. Quand on voit une matière ou un objet, il s’agit bien de réalité et les ombres sont bien réelles. » Pour terminer en beauté cette biographie, je vais répéter ses propres mots, encore une fois, car ils décrivent bien l’idée de son travail et son but qui n’est en aucun cas de faire profit : « Voilà comment je vois le monde. Sans donner de leçon. Sans pédanterie. »
Voici le site de Gilbert Garcin que je vous recommande : http://www.gilbert-garcin.com/