Les années décisives :
Édouard Boubat est un photographe français né en 1923. Il passe son enfance à Paris dans le quartier de Montmartre. Réquisitionné deux ans au titre du STO en Allemagne, c’est après la guerre qu'il s'initie à la photographie. Il a la vingtaine et comme tous les gens de sa génération, il est saisi par un immense appétit de vivre. Il est attiré par la création, aime la peinture, mais ne compte pas en vivre. Finalement en 1937 il passe avec succès le concours de l'école Estienne et y étudie la photogravure de 1938 à 1942. Il réalise des négatifs sur plaque de verre selon le procédé ancien du collodion humide. Il est conquis par cette atmosphère de magie qui entoure la préparation des plaques. Quand il commence à prendre ses premières photos dans les années 45-50, il photographie les gens dans la rue. D'autant qu’il est persuadé que le monde dont il est témoins après cette guerre est appelé à disparaître. Puis il exerce le métier de photograveur, dans une usine. Ce monde le fascine, et il ne pense pas encore à la photographie. Sa toute première image connue est prise dans les jardins du Luxembourg (La petite fille aux feuilles mortes), elle reçoit en 1947 le prix Kodak lors d’une exposition au salon international de la photographie, prix qu’il partage avec Robert Doisneau. Avec son premier appareil photo, un Rolleicord, format 6 x 6, Boubat réalise ses premières photographies dont « Lella », rencontrée à la Libération et avec qui il vivra cinq ans, sera le plus grand sujet et modèle. La revue Camera le publie pour la première fois en 1950, année où il réalise « L'arbre et la poule », une des photographies emblématiques de son œuvre. Il participe à une exposition à la galerie La Hune en 1951 aux côtés de Brassaï, Izis, Doisneau et Facchetti, ce qui le rendra célèbre.
Correspondant de paix :
Il achète son premier Leica et commence alors une vie de voyageur inlassable, toujours attentif à la magie de l'instant, réceptif à l'humain et à son environnement. En tant que reporter collaborateur permanent pour le mensuel « Réalités », il parcourt la France puis le monde de 1952 à 1967 : Italie, Espagne, Mexique, États-Unis, Jordanie, Liban, Brésil, Maroc, Yémen, Pérou, Kenya, Vietnam, Suède… Il sera ensuite photographe indépendant de 1967 et travaille avec l'agence Top-Rapho à l'instar de ses collègues Doisneau, Willy Ronis et Sabine Weiss. Il décède le 30 juin 1999 à Paris. Selon l’expression de Prévert, Boubat est l’une des grandes figures de la photographie humaniste française. Voici l’hommage rendu à Edouard Boubat par Prévert dans cet extrait de « Éternité instantanée » de 1971 : « Boubat, lui, dans les villes les plus proches, comme dans les terres les plus lointaines ou les grands déserts de l’ennui, cherche et trouve des oasis. C’est un correspondant de paix. » Afin de mieux comprendre sa conception photographique, voici un extrait d’une de ses déclarations dans une interview qui date de 1996 : « La photo c'est un instant de lumière, un moment où les personnages ont été devant nous. Je ne me pose pas la question de savoir si une photo est bonne ou mauvaise. Ce qui est important c'est qu'il y ait un "élan". Que je saisisse quelque chose à la prise de vue et que je sois saisi après par cette chose. Le plus important dans une photo, c'est donc qu'elle crève les yeux. Qu'elle soit techniquement bonne ou mauvaise n'est alors pas si important. Ce n'est pas l'appareil qui fait la photo, mais l'œil. » Faire de jolies photos ne l’intéresse pas vraiment, s’il aime parfois montrer un bouquet de fleurs, ce qui l’attire c’est ce qui se cache derrière. A travers ce bouquet de fleurs, il va peut-être toucher autre chose…
Le visible suggère l’invisible :
Boubat fait ressortir de puissantes vérités dans ses images comme dans ses propos, il parle aussi bien de l’invisible que du perceptible. Ces deux champs joueront un rôle primordial dans son travail. D’ailleurs pour illustrer ces deux aspects fondamentaux de son œuvre, je vais me contenter de reprendre un passage de « La Photo » de Chenz et Jeanloup Sieff paru en 1976. « J’aime la photo, c’est tout. Ce TOUT est la vie. Elle est inépuisable. Un bouquet de fleurs est inépuisable, on le voit de différents points de vue, sous différents éclairages, et dix photographes prendront dix photos différentes. Mes préférences vont sur ce qui ne pourrait être suggéré autrement que par la photo, comme chez Eugène Smith par exemple, et tous les témoins de la vie. Dans toute tentative d’expression, deux aspects se rencontrent : son aspect métaphysique et son aspect apparent, son aspect irrationnel et son aspect pratique : la technique. Son aspect mesurable et non mesurable. Certes, on mesure le temps de pose, la distance, on peut même tout mesurer, mais mesure-t-on l’essentiel, ce qui nous touche ? Il est remarquable qu’en photographie, la technique est souvent « extrémiste ». Soit dans le négligeable : « Appuyez, nous ferons le reste », soit dans l’exagération, un certain fétichisme d’appareil ou de matériel. Pour certains, l’appareil est plus beau que l’épreuve, comme la chaîne hi-fi plus intéressante que la musique. La technique doit être un support. Un support de quoi ? C’est la question. La réponse est dans la photo. C’est-à-dire le photographe. Le photographe est aussi dans la photo. C’est la même chose pour tout ce qui nous intéresse. La part du visible et de l’invisible. Dans la photo aussi, la part du non-montré est peut-être la plus grande; et nous reconnaissons la magie de l’image. Puisque seul l’homme en a le privilège (si jamais c’en est un). L’apparition de l’image dans la cuvette est aussi magique, et j’aime bien tirer. Mon seul conseil : L’INCONSEILLABLE. Approchons-nous le plus près de la vie. Ouvrons l’œil. Ce mot image d’ouverture indique aussi le diaphragme. » Ainsi en regardant « Rémi écoutant la mer », une autre de ses images les plus célèbres, et il y en a beaucoup, on entend le doux bruit de la mer. Encore une fois la partie visible de son cliché suggère l’invisible et les plus belles photographies ont de tout temps usé de cette théorie des univers et/ou de celle du champ et du hors champ. Dans les images de Boubat, il y a la vie qui nous saisit. Il sait restituer tout un univers, une époque, une atmosphère en figeant un visage d’enfant, un arbre ou un chat qui passe.
Enfin pour clore en images ce petit article sur l’œuvre de d’Edouard Boubat, je vous recommande la visite du site de Bernard, son fils, qui lui rend hommage : http://www.edouard-boubat.fr/