Un parcours artistique :
Tatsuo Suzuki est un photographe Japonais né en 1965 à Tokyo. Pas facile de pratiquer la photo de rue dans ce pays aux mœurs réservées, même si aujourd’hui le Japon n’est plus le pays que la plupart de nous autres européens imaginons. Tatsuo a toujours eu en lui un profond désir de mieux comprendre les gens qui l’entourent, la photographie en noir et blanc a donc été pour lui le moyen de satisfaire cette volonté. Depuis ses plus jeunes années il a exprimé et développé un sentiment anti conformiste qui s’est traduit dans sa période universitaire par la musique, il a joué dans un groupe punk. La musique était alors son canal pour exprimer ses sentiments et ses émotions. Toutefois, le coté groupe l’empêchait de pleinement s’exprimer et de se lâcher si je puis dire. La photographie, en revanche, lui a apporté ce côté solitaire et de pleine responsabilité de l’expression de ses idées au gré de ses envies. Suzuki a déjà quelques récompenses à son actif parmi lesquelles une mention honorable Photo Awards en street photo obtenue en 2011, en 2012 il est second des Black and White Spider Récompenses dans la catégorie portrait et il obtient une mention honorable aux PX3 Gold Awards dans la catégorie presse.
Un but avoué :
Tatsuo débute ainsi dans le monde de l’image en 2008 avec un Nikon 1070 puis s’est progressivement équipé de nombreux boitiers et objectifs quand il a compris que la photographie était son univers. Il démarre en fixant des objets et des paysages avant de se rendre compte que la ville et ses habitants étaient des sujets qui l’attiraient vraiment et lui permettaient cette fameuse libre expression conforme à ses états d’âme. Suzuki aime infiniment les gens ! Cependant, un examen plus attentif de son travail permet de se rendre compte que son imposante collection d’images contient des clichés bien loin de la simple prise de vue de badauds arpentant les rues du quartier de Shibuya. Beaucoup de ses images sont des portraits pris de très près, ce qui anéantit de fait la notion d’images volées. Il y a dans ses photographies l’expression d’une certaine connivence, de relations privilégiées avec bon nombre de ses sujets. Son art lui permet d’échanger, de montrer et de tenter de comprendre le monde dans lequel il vit. D’ailleurs lors d’un entretien en anglais avec un journaliste il précise sa démarche en déclarant : « Je prends surtout des gens défavorisés, démunis, et beaucoup moins les gens ordinaires, parce que ces derniers ne remarquent pas les gens de classe inférieure. Grâce à mes images, j’en apprends plus sur eux et sur les conditions qui les ont amenés là où ils en sont. » Tokyo est la ville à plus grande concentration humaine au m² dans le monde, plus de 13 millions de personnes y cohabitent, cela n’empêche pas l’absence inquiétante de contact et d’intérêt pour l’autre. En menant ses projets photographiques Tatsuo espère sensibiliser les gens et quelque part, changer les choses. Cette absence de chaleur humaine renforce l’intérêt de mon travail, les citadins ont une tendance à oublier rapidement les choses ordinaires, les gens croisés dans les rues sont vite oubliés, quand ils ne sont pas carrément transparents, en prenant des images de ces gens de la rue, il capture des instants éphémères, permet de les garder en mémoire et surtout de les partager. La photographie de rue n’est pas encore bien perçue ni reconnue au Japon, Suzuki est effectivement plus reconnu pour son travail en dehors de son pays d'origine. Il y a comme une absence d’acceptation de soi, un refus de se regarder dans la glace et d’admettre que le Japon ait ainsi encore une fois une certaine vision avec des œillères très locales. Tatsuo Suzuki a déclaré : « A travers mes photos, je tiens à partager les moments de personnages inconnus. Quand les gens voient mes photos, je veux qu'il se passe quelque chose, que mes images suscitent des réactions. Quelque soit leur ressenti : tristesse, mélancolie, colère ou joie… Pourvu qu’ils ressentent une émotion »
L’esprit des images :
Dans la photothèque de Tatsuo on remarque deux principaux sujets : Des filles et des sans abris. Les premières illustrent l’absence de communication, sauf via un téléphone portable dernier cri, qui en fait supprime tout contact physique avec les gens. « La communication à outrance par mutisme absolu » me semble être un joli contresens qui s’adapte parfaitement à ces jeunes filles. On les voit portable en main ou à l’oreille, les yeux rivés sur leurs écrans. Au-delà des images brutes, souvent très intéressantes dans leur composition d’ailleurs, on peut aisément décrypter le message que les clichés véhiculent. Mutisme, absence de réelle communication, désintérêt de l’autre, isolement par rapport au monde immédiatement à proximité, absence totale de perception des rues dans lesquelles cette jeunesse se déplace. Pour les sans abris le message recoupe le premier en certains points : Abandon, solitude, désintérêt de la société, détresse… Ainsi que d’autres idées suggérées : Echec, choix personnel, modèle économique discutable, misère… En fait en juxtaposant ces deux thèmes, Suzuki nous peint sa société à deux vitesses, son Japon qui va vite ; Parfois trop vite même ! Et lui pendant ce temps avec sa technique photographique sortie tout droit d’un autre temps, qui sentirait presque le révélateur à plein nez, s’amuse à vouloir nous faire prendre conscience d’un phénomène qui semble déjà nous avoir échappé.
Résolument monochrome :
Pour cela Tatsuo mise sur le noir et blanc, car selon lui, les couleurs clinquantes de la ville pourraient très bien servir de toile de fond à ses images de rue, mais il préfère composer en monochrome. Le noir et blanc change radicalement la perception de Tokyo car ni n’alimente, ni n’amplifie le bruit visuel strident urbain. Les couleurs vives, les lumières, l’agitation, les déplacements… Tout cela est comme lissé par ce choix fort de format. De plus le noir et blanc lui permet d’exprimer des sentiments et des émotions que la couleur ne lui autoriserait pas. Il déclare à ce sujet : « Les photos en noir et blanc ont un plus grand impact visuel sur celui qui les découvre. La couleur est belle, mais je crois que l'impact est plutôt faible en comparaison car elle suggère trop de dispersion par rapport au sujet central. La couleur perturbe, elle déconcentre l’œil en l’amenant sur des multitudes de chemins parallèles qui le détachent du but recherché par l’auteur »
Vous pouvez découvrir l’ensemble des images de Tatsuo Suzuki sur son blog http://justatoy.pixyblog.com/ et sur son site http://tatsuo-suzuki.tumblr.com/