Saul Leiter est né en Pennsylvanie en 1923 à Pittsburgh. Son père était rabbin et espérait le même avenir lui et ses deux frères, mais Saul était le rebelle de la famille et prit une autre direction. Il quitte l'école de théologie pour New York. Il y fréquente des expressionnistes, il peint des toiles abstraites, il assiste aux expositions et se met à photographier les rues... Son père, honteux d'avoir un fils artiste, est en pleurs lorsqu'il fait sa première exposition. Saul en gardera un très mauvais souvenir et n'aura jamais d'enfants afin de ne pas être déçu un jour à son tour, du moins c’est ce qu’il dit…
Le photographe réussit à exposer au MoMA dans les années 1950 mais c'est avec la photo de mode qu'il gagne sa vie et une certaine reconnaissance. Il travaille presque vingt ans au célèbre Harper's Bazaar et collabore avec d'autres magazines. Mais, dans le monde de la mode, ce caractère trempé est en complet décalage, il ne se mêle pas à ses collègues et ne s'intéresse pas aux vêtements ! Il n'a jamais eu d'ambition et n'aime pas les ambitieux, il ne fait rien pour faire connaître son travail. C’est un personnage bougon, non dénué d’humour, entier et caustique. Frank Horvat, qui faisait partie de l'équipe d’Harper's à cette époque, raconte : « Nous étions 25 photographes à tout faire pour réussir, à essayer tellement… Mais Saul semblait s'en moquer. Il était détaché, totalement déconcertant. Il est resté exactement pareil. » Pour que l'on redécouvre son œuvre, il faudra attendre les années 2000, quand la photo couleur des années 70 connaît un net regain d'intérêt. En effet les noirs et blancs de Saul Leiter sont moins connus que ses images en couleurs, il est effectivement l’un des pionniers de la couleur. Fidèle à son esprit contradictoire, il choisira la photographie couleur quand seul le noir et blanc était considéré comme digne d'intérêt. Pourtant une magnifique collection de portraits monochromes constitue sa collection. Ses premiers clichés sont pris à la fin des années 40 et au début des années 50 dans les rues new-yorkaises. On retrouve déjà ses cadrages très personnels et peu conventionnels, des gros plans serrés de jambes, de chaussures, des reflets dans les vitrines, des images prises en plongée ou en contre plongée. Son style à cette époque frise le documentaire photo par les sujets qu’il traite, mais il s’agissait bien de street photo d’un ton nouveau, sous couvert de ses influences de l’art abstrait.
La plupart des photographies de Saul Leiter donnent l’impression que le temps est suspendu, que son défilement se fige. On peut y contempler le panorama de la vie américaine des années 50, sans pour autant y voir décrit cette époque paradoxale de lutte des classes et de misère. Au lieu de cela le photographe préfère arpenter les rues de New-York qui l’entourent à la recherche de belles images. Point de misérabilisme, ou si peu, pas d’apitoiement, on a l’impression qu’il est en quête de l’esthétique et de l’original. Pour un street photographe il est, me semble t-il, plus à la frontière de l’artistique que du documentaire social ou contemporain. Il aime la buée, l'anonymat des passants de son quartier, l’homme qui traverse, la silhouette à peine distincte derrière la vitre, le flou, les reflets, la neige qui plonge la ville dans le coton... Devant ses clichés on a la sensation de rêverie, de flânerie et de flottaison, ses cadrages surprennent, ils déstabilisent mais sont toujours très soignés et poétiques. Juxtaposition des plans, utilisation de la bande noire au premier plan qui masque une partie de la scène, flous mystérieux... Saul Leiter se considérait comme un peintre avant tout, rappelons que vers la fin de sa vie, il réunira ces deux arts dans un atelier-appartement.
Comme il l’a déclaré dans un entretien avec un journaliste du New-York Times, il ne s’intéressait pas à la gloire : « Le culte de moi-même ne m’intéresse pas ». Il ne cherchait pas le strass et les paillettes, lui accumulait des clichés dans son appartement, satisfait au quotidien d’avoir pris une belle image… D’ailleurs il n'a connu la gloire que dans les années 90 à l'âge de la retraite et voyait cette célébrité tardive avec un grand étonnement. Il est mort à New York, à l'âge de 89 ans.
Vous pouvez retrouver quelques une de ses images en noir et blanc ici : https://www.lensculture.com/articles/saul-leiter ou ici : http://www.gallery51.com/