La photographe de rue, d’architecture et photojournaliste néerlandaise Eva Marianne Besnyö est née le 29 avril 1910 à Budapest, en Hongrie. Cadette de trois sœur, elle est la fille d’Ilona Kelemen et de l’avocat Bernat Besnyö, qui sera déporté et assassiné à Auschwitz en 1944. Eva découvre très tôt la photographie comme outil de liberté et d’indépendance. Entre 1928 et 1930, elle suit une formation de photographe professionnelle et intègre le studio de Jozsef Pécsi, photographe de publicité et d’architecture réputé de la capitale hongroise. Au cours de ses deux années d’apprentissage, avec pour seul équipement un Rolleiflex 6x6, appareil qu’elle gardera jusqu’en 1969, elle initie son œil et optant très tôt pour des angles de vue audacieux et inhabituels. Elle arpente les rives du Danube et les berges du lac Staffel en quête de sujets et commence à faire des reportages sociaux sur les chômeurs et les enfants déshérités…
De Berlin à Amsterdam :
En 1930, sa formation achevée, elle décide sur les conseils du peintre et photographe György Kepes, de quitter Budapest, devenue trop répressive et trop restrictive, pour Berlin. Quand elle s’installe dans la capitale allemande, elle a tout juste 20 ans. Elle va travailler au studio de publicité de René Ahrlé, puis pour le docteur Peter Weller, qui lui commande ses premiers photo-reportages. Bien qu’elle rentre régulièrement à Budapest durant cette période, elle considérera plus tard que les deux années passées à Berlin sont une des étapes les plus importantes de sa vie et de sa carrière, au cours desquelles son travail fut influencé de manière indélébile, et où naquirent ses premières opinions politiques.
L’année suivante, elle travaille déjà pour son propre compte et participe même à une exposition à Londres « Exhibition of Modern Photography ». Juive, dès 1932 elle pressant la montée du nazisme et de l’antisémitisme et quitte Berlin pour la Hollande qui devient son pays d’adoption. Elle s’installe, alors aux Pays-Bas puis se marie avec le jeune cinéaste John Fernhout. Elle se lie d’amitié avec la mère de son époux qui n’est autre que la peintre Charley Toorop. Elle commence alors un important travail de documentation photographique sur l’artiste et son cercle, où sont présents de nombreux membres du mouvement De Stilj.
Proche du photographe Carel Blazer et de l’architecte Alexandre Bodon, elle se spécialise dans la photographie d’architecture et travaille pour la revue « De 8en Opbouw ». Invitée à de nombreuses expositions, elle participe notamment en 1936 à « L’Olympiade sous la dictature », et, l’année suivante, au projet « Foto 37 » au Stedelijk Museum d’Amsterdam. A la veille de l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale, elle milite activement contre l’organisation des Jeux Olympiques à Berlin, en 1938, et deux ans plus tard, Rotterdam est bombardée, et détruite suite au refus de reddition de son port à l’Allemagne nazie. En juillet 1940, elle photographie les ruines de cette ville en s’attachant seulement à leur beauté insolite. C’est un véritable coup de grâce assené à sa photographie esthétique, c’est en ces termes qu’elle qualifiera rétrospectivement cette série. Elle documente la destruction de Rotterdam et en immortalisera sa reconstruction à l’après-guerre.
Le pays occupé, les premières mesures anti-juives débutent dès juin 1940. Radiations, exclusions, traques et rafles se succèdent. En 1941, les décrets antisémites de l’occupation allemande l’empêchent de publier ses photos sous son nom, sa carte de presse datant de 1931. Dès 1942, elle fait de la résistance en fabriquant de faux papiers, puis toujours interdite d’exercer entre en clandestinité, pour n’en sortir qu’en 1944 grâce à une fausse généalogie la déclarant « aryenne » aux yeux des nazis. En 1945, elle épouse le graphiste Wim Brusse, avec qui elle aura deux enfants, Berthus en 1945, et Iara trois ans plus tard.
Son œuvre :
L’œuvre d’Eva Besnyö traduit le souci de la précision, la netteté de chaque détail, les cadrages en plans rapprochés. Prémices techniques qui appuient la texture des éléments photographiés. Elle abandonnera assez vite les prises de vue d’objets et de monuments pour se consacrer aux scènes de rue : une famille tzigane jouant de la musique sur le trottoir, les charbonniers de la Spree, les ouvriers de l’immense chantier de l’Alexanderplatz, ou les baigneurs du lido de Wannsee sont autant de portraits de rue qui la font basculer dans la street photographie. Elle a la particularité de s’essayer à de nouvelles perspectives : vision latérale, plongée, contre-plongée... Dans les scènes prises sur le vif, l’expression des visages et les poses sont spontanées, le noir et blanc est authentique. Mais les sujets ont l’air absent, le regard légèrement baissé, jamais vraiment à leur place. Surpris dans un entre-deux, toujours soumis à ces lignes, ombres, reflets et blocs qui les cernent partout dans l’image.
Photographe reconnue dans les années 1950, elle reçoit de nombreuses récompenses et commandes officielles. En 1953, elle participe à l’importante exposition « The Family of Man » au MOMA de New York. Dans les années 1960, elle conseille le musée Stedelijk pour ses achats de photographies, puis devient, au cours de la décennie suivante, une militante féministe active du mouvement « Dolle Mina », dont elle photographie les actions. C’est un groupe féministe néerlandais fondé en 1969, également actif en Belgique flamande, sa particularité tient à l'utilisation de l'humour et de la provocation dans ses manifestations. Une première exposition rétrospective consacrée à Eva Besnyö a lieu à l’Amsterdams Historisch Museum en 1982. En 2002, un an avant son décès, elle dépose ses négatifs à l’institut Maria Austria, elle meurt à Laren aux Pays-Bas en 2003.
Voici un lien très intéressant sur le travail d’Eva Besnyő qui propose énormément d’images à visionner : http://www.maibeeldbank.nl/beeldbank/eva