Robert Capa est né à Budapest en 1913 dans une famille juive hongroise aisée, ses parents Pédro et Sophie Friedmann sont propriétaires d'une maison de couture à Pest. Photographe américain d’origine hongroise, il a couvert les plus grands conflits de son époque, cela en fera, nous allons le voir, le père de tous les photojournalistes. En 1931, alors qu'il a à peine 17 ans, Endre Ern Friedmann de son vrai nom, est arrêté pour sa participation aux activités hostiles contre le gouvernement conservateur de l'amiral Miklós Horthy. Alors étudiants gauchiste il participe à des actions politiques contre le régime autoritaire en place. On le somme de quitter la Hongrie en échange de sa libération. Il part dès juillet de la même année pour Berlin où il s'inscrit à la « Hochschule für Politik » pour y étudier le journalisme et tenter de concilier son amour pour la politique et la littérature. Grâce à Eva Besnyö, une amie d’enfance également exilée en Allemagne, il trouve son premier travail en tant qu’apprenti développeur dans l’agence photographique de Berlin, la « Dephot » dirigée par Simon Guttmann. Il apprend très vite le métier du tirage et du développement et est promu assistant, puis apprenti-photographe. En novembre 1932, la Dephot n’a aucun membre à disposition, Simon lui donne l’occasion de couvrir son premier sujet. Il part pour Copenhague, afin de photographier le responsable communiste Léon Trotsky qui doit donner une conférence sur la révolution russe. Ce reportage sur le révolutionnaire en exil fut publié avec succès dans le Weltspiegel du 11 décembre, avec comme crédit « Friedmann-Degephot ». Si ces photographies laissent encore à désirer d’un point de vue technique, elles font déjà preuve d'une intensité et d'une proximité qui deviendront ensuite la marque Capa…
La naissance de Robert Capa :
Hélas l’aventure berlinoise s’arrête pour lui car juif, immigré et gauchiste, l’ambiance devient vite irrespirable pour lui, quand Hitler accède au pouvoir en janvier 1933. Il décide alors de partir pour Vienne, mais là encore, un autre Chancelier, Engelbert Dollfuss, y a établi une dictature fasciste. Endre émigre finalement à Paris à l’automne 1934. C’est là, dans les cafés de Montparnasse, qu’il rencontre Henri Cartier-Bresson et d'autres juifs émigrés comme David Szymin (Seymour) réfugié juif polonais, et André Kertész. Henri, David et Endre s’unissent alors d’une amitié sincère, qui aboutira à la fondation de Magnum après la Seconde Guerre mondiale. Endre décide alors de franciser son prénom et se fait désormais appeler « André Friedmann ». En septembre 1934, il fait la connaissance de Gerda Pohorylle, une réfugiée juive allemande d'origine polonaise, plus âgée que lui de trois ans, aux opinions politiques très marquées à gauche. D’assistante elle est devenue photographe comme lui et vivent ensemble une histoire d'amour. Ils fréquentent l'Association des écrivains et artistes révolutionnaires, comme ses principaux amis et collègues photographes. Mais ses photos ne se vendent pas, de ce fait en 1936 ils échafaudent un subterfuge ensemble pour lui permettre de se forger une légende, celle d’un photographe américain. Il prend le pseudonyme de « Robert Capa » proche du nom du réalisateur Frank Capra, qui signifie également « requin » en hongrois. Il invente l’histoire de son personnage, Capa est américain, il est chic, riche et mondain… Dans le même temps, Gerda prends le pseudonyme de Taro, Gerda Taro ayant une vague consonance de Greta Garbo. Comme par enchantement soudain, les rédacteurs sont enclins à acquérir les clichés de Robert pour les publier.
La guerre d’Espagne, le mythe Capa est né :
C'est la guerre d'Espagne qui va permettre à Capa, et dans une moindre mesure à Gerd, de se faire un nom en tant que photoreporters. Dès août 1936, ils sont envoyés en Espagne pour « Vu » et « Regard ». Ils arrivent à Barcelone et commencent à photographier les combats, Capa avec un Leica et Taro avec un Rolleiflex. Dans leurs esprits ces appareils ne sont pas seulement leurs gagne-pain, mais ils sont aussi des armes. Ainsi selon la légende et afin d'obtenir l'appui international à la cause républicaine, Capa aurait même été jusqu’à monter certaines photos mettant en scène une victoire utopique des forces républicaines ! A la gare de Barcelone, ils photographient les soldats se séparant de leurs femmes, partant pour le front d'Aragon. Ils se dirigent ensuite vers Huesca et Saragosse, régions où servent dans les milices beaucoup de réfugiés allemands, ce qui facilite les échanges.
Mais c’est avec la photographie de la mort d’un soldat républicain qu’il atteint la renommée à l’origine du mythe Capa. Ce cliché représente un soldat des forces républicaines, en chemise blanche, s’effondrant après avoir été touché par une balle. Cette photo symbolise la guerre d’Espagne et reste, encore aujourd’hui bien encrée dans la mémoire collective. Néanmoins, à partir de 1970, une polémique sur l’authenticité de cette prise de vue va naître. Une enquête permettra toutefois de découvrir l’identité du soldat, un militant anarchiste nommé Federico Borrell Garcia et qui a bien été tué le 5 septembre 1936, le jour où Capa a pris la photo. Mais en 2009, le journal catalan « El Periodico » affirme, preuves à l’appui, que la photo a été prise à Espejo et non près de Cerro Muriano. Hors, à Espejo il n’y a pas eu de combat le 5 septembre 1936. L’hypothèse du montage refait surface, d’autant que le journal publie également deux clichés de soldats républicains différents tombant sous les balles, pris par Capa au même endroit. Quand on sait qu’il existe une autre version, cela laisse bien penser à une mise en scène. Il faut bien convenir que la chute de deux soldats différents exactement au même endroit devant un appareil orienté de manière identique, constitue un « hasard » peu crédible… Bref, bien que controversée, cette image est à l'origine du mythe Capa. Elle est publiée pour la première fois par la revue française « Vu » et un an plus tard par « Life ». Elle devient alors l'une des images les plus importantes de l'histoire de la photographie et du photojournalisme.
Début mars 1937, Capa et Taro commencent à travailler pour le périodique du Front populaire « Ce soir » dont le rédacteur en chef est Louis Aragon. Ils photographient les combats près de Bilbao, la bataille du mont Sollube, au Paso de Navacerrada ils couvrent l'offensive républicaine, la bataille de Carabanchel et les funérailles du général Lukács… Alors que Capa est forcé de rejoindre Paris, Gerda est écrasée par un char loyaliste qui percute sa voiture lors de la bataille de Brunete. Elle décède le lendemain à l’hôpital d'Escorial, le 26 juillet 1937. Ce drame suscita en France une vive émotion car Gerda Taro est la première femme photojournalisme morte au combat dans l’exercice de ses fonctions. Capa ne s’en remettra jamais tout à fait…
La Seconde Guerre sino-japonaise :
En 1938, il est envoyé par le magazine « Life » pour suivre la Guerre sino-japonaise. Il réalise un étonnant reportage sur madame Tchang Kaï-chek et prend une photo qui fait la couverture du magazine, celle d’un enfant chinois, habillé en militaire. Life y apposera la légende « Un défenseur de la Chine ». Le 3 décembre 1938, la revue de photographie anglaise « Picture Post » de Stefan Lorant publie huit pages des photographies de Capa, alors âgé de 25 ans, en le proclamant « le plus grand photographe de guerre du monde », avec en couverture un portrait de Capa en Espagne pris deux ans plus tôt par Gerda.
Le Tour de France de 1939 :
Capa couvre le Tour de France de 1939 pour le compte de « Match » et de « Paris-Soir ». Raymond Vanker, qui suit également l’évènement témoigne de l'intrépidité de Robert, l'un des premiers à photographier depuis l’arrière d’une moto. Dans ses reportages en temps de guerre ou non, Capa se montre toujours intéressé par ce qui gravite autour du sujet principal. C'est ainsi qu'il photographie, autant coureurs, spectateurs que la famille du coureur Pierre Cloarec, dit « le Colosse de Pleyben ».
La Seconde Guerre mondiale :
Rattrapé par ses origines car concerné par les lois françaises contre les « étrangers indésirables », il quitte Paris en octobre 1939 et émigre à New York où il rejoint sa famille. De là, en 1942, il est chargé par le magazine « Colliers » de couvrir le front d’Afrique du Nord. Il enchaine avec la Sicile pour y couvrir le débarquement des alliées, pour le magazine « Life ». Ses photos sont empreintes de souffrance et montrent le courage de la population sicilienne dans le conflit. En accompagnant les soldats américains, il prend des clichés partout, même dans les plus petits villages. En effet, la photo symbole du débarquement en Sicile, où l'on voit un soldat américain accroupi et un berger sicilien qui lui indique la route, a été tirée près de Sperlinga.
Pour couvrir les opérations du Débarquement en Normandie, six photographes de « Life » furent accrédités. Par ordre alphabétique, Robert Capa, Bob Landry, Ralph Morse, George Rodger, David Scherman et Frank Scherschel. Le 6 juin 1944, il fut le premier à débarquer avec la première vague du 116e à Omaha, dans un secteur dénommé « Easy Red ». Pendant plus de 6 heures, sous les obus et entre les balles, il photographie la guerre au plus près. Aux côtés des soldats, il prend 119 photos. Malheureusement, un laborantin de « Life » ferme la porte de l’appareil de séchage et l’émulsion des pellicules fond. Au final, il ne restera que 11 photos à peu près acceptables, mais plutôt floues.
Il couvre également la campagne de Belgique, à la Libération, il prend des clichés de femmes tondues à Chartres et offre ainsi un témoignage sur l’épuration, enfin il boucle en apothéose avec la chute du Troisième Reich.
Les années Magnum et Israël :
En 1947, il fonde avec David Seymour, Henri Cartier-Bresson, William Vandivert et George Rodger la coopérative photographique Magnum. Magnum regroupe certainement les plus célèbres photographes et photojournalistes du monde. Capa et ses amis ont décidé de créer une coopérative et non une agence pour permettre aux photographes de garder l’intégralité des droits sur leurs photos, ce qui jusque là n’était pas le cas dans les agences photos traditionnelles qui étaient sous la coupe des patrons de presse.
En 1948, il assiste à la naissance de l’État d’Israël. Il développe un lien étroit avec le jeune État, où il se rend à plusieurs reprises entre 1948 et 1950. Les photos prises au cours de ces séjours font l’objet d’un livre, « Report on Israel », publié en 1950 avec un texte du romancier Irwin Shaw.
L’Indochine, la fin de sa guerre :
En 1954, afin de couvrir la guerre d’Indochine, le magazine « Life » a besoin d’un photographe. Se trouvant alors au Japon pour une exposition de Magnum, le journal lui demanda de prendre pendant un mois, la place d'un collègue américain. . Il accepte, malgré des problèmes divers de santé et d’argent, sa farouche volonté de prouver qu'il est toujours le meilleur photographe de guerre l’emportant. Ainsi, c’est aux côtés des troupes françaises qu’il parcourt le Viêt Nam, une partie de l'Indochine française de l'époque.
Pour qui connaît la fin de l'histoire, il est impossible de ne pas déceler, rétroactivement, quelque chose de prémonitoire dans les dernières images de Capa : ces femmes en pleurs dans un cimetière, ce panneau indiquant la direction de Thai Binh, où il allait tomber, ces soldats vus de dos s'éloignant dans les herbes. Le 25 mai 1954, dans une zone proche du Tonkin (Nord du Viêt-Nam actuel, où se trouve la capitale Hanoï), en voulant prendre une photo d'ensemble de soldats français, il s’écarte du chemin où progresse la troupe et met le pied sur une mine. Il est tué sur le coup par l'explosion. A titre posthume, la France lui décerna la Croix de guerre.
Visitez le site de l’agence Magnum pour voir de nombreux clichés de Robert Capa : http://www.magnumphotos.com/