De sciences Po à la photographie :
James Nachtwey est né en 1948 dans le Massachusetts aux Etats-Unis. Il fait des études d'histoire de l'art et de sciences politiques au Dartmouth College, l'une des universités les plus prestigieuses du pays. A la fin de ses études, il travaille sur des cargos, puis comme chauffeur de poids lourds, et enfin à New York chez NBC, comme assistant d'un rédacteur d'actualités. C’est à ce moment qu’il se décide d’embrasser la carrière de photographe, mais c’est aussi en partie à cause des images de la guerre du Vietnam et le mouvement des droits civiques américains qui ont joué un rôle important dans sa motivation à devenir reporter. En 1976, il débute son activité de photographe local au Nouveau Mexique. Puis en 1980, il s'installe à New York en tant que photographe indépendant tout en s’associant avec l’agence Black Star, partenariat qui durera jusqu’en 1985, date à laquelle il rejoint l’agence Magnum, où il restera de 1986 à 2001. D’ailleurs en 1985, peu de temps avant de devenir membre de cette agence photographique, il écrit, à l'âge de 36 ans, un texte sur le sens de son travail de photographe de guerre. Nous en reparlerons plus loin dans un chapitre consacré à l’aspect psychologique de son travail et au jugement qu’il porte dessus. En 2001, il est l'un des membres fondateurs de l'agence de photo « VII ».
Son œuvre a été exposée partout dans le monde, à New York, à la Bibliothèque Nationale de France à Paris, à Rome, au Musée des arts photographiques de San Diego, à Lisbonne, à Madrid, à Los Angeles, à Amsterdam, à Prague, au Centre Hasselblad en Suède entre autres … Ses travaux sont primés à plusieurs reprises, il a remporté deux fois le prix World Press, cinq fois la médaille d’or Robert Capa, trois fois l'Infinity Award du Centre international de la photographie de New York. Il a également été nommé sept fois photographe de magazine de l'année et a obtenu la prestigieuse bourse W. Eugene Smith Grant Memorial du photographe humaniste. Sans oublier ses deux Prix Leica et les deux fois où il a remporté le prix Bayeux des correspondants de guerre.
Le tour du monde des conflits :
Sa carrière de reporter de guerre débute réellement en 1981, quand il se rend à Belfast, en Irlande du Nord, pour prendre des images des troubles. C'est le début de sa longue ascension dans le métier de photographe spécialisé dans les conflits sociaux et armés. Il signe un contrat de photographe avec le Time Magazine en 1984. Par la suite, il couvre notamment les guerres civiles latino-américaines des années quatre-vingts, le conflit du Moyen Orient au Liban, en Israël et dans les territoires occupés, puis les différentes zones de guerre en Afrique. Il restera notamment de nombreux mois en Afrique du Sud afin de documenter la fin de l'apartheid. A plusieurs reprises, il se rend dans des régions à hauts risques de l'ex-Union soviétique, au Kosovo, en Bosnie, en Roumanie, en Tchétchénie. Il a également à son actif, différents séjours en Afghanistan qui débouchent en 1996 sur l’accumulation d’une importante documentation photographique de la guerre qui sévit dans ce pays. Ainsi James Nachtwey est l’un des photographes de guerre les plus célèbres de notre époque. Depuis près de 20 ans, il couvre les zones des conflits majeurs aux quatre coins du monde : Nicaragua, Rwanda, Salvador, Kurdistan, Somalie, Guatemala, Israël, Indonésie, Cisjordanie, Thaïlande, Inde, Sri Lanka, Philippines, Corée du Sud, Soudan, Brésil…
L’utilité de mettre en boîte l’insupportable :
James Nachtwey a déclaré un jour à propos de son travail : « Chaque minute passée ici, je songe à la fuite. Je ne veux pas voir cela. Que vais-je faire ? M'enfuir ou assumer la responsabilité de photographier tout ce qui se passe ici ? » L’ « ici » importe peu, que ce soit en Bosnie, au Rwanda, ou en Somalie, le constat est le même, la souffrance psychologique et l’usure mentale est constante. Autant d'images qui montrent de quoi l'être humain est capable, des preuves de souffrance apocalyptique, de haine archaïque, d'ivresse meurtrière collective… Nachtwey souligne: "Mes photographies s'inscrivent dans les archives éternelles de notre mémoire collective. Je sais que les images peuvent pousser les responsables à agir. Sans image de la faim en Somalie, personne ne serait intervenu, sans cliché sur la Bosnie, la guerre s'y poursuivrait peut-être encore... »
Comme je l’écrivais plus avant, James a porté une autocritique en prenant du recul sur son propre travail et surtout sur la vision de son action. Travail d’écriture souvent salvateur car il permet de se vider l’esprit et surtout d’exorciser les démons des images qui restent ancrées en tête. Cette forme de psychanalyse il l’a faite en 1985 juste avant d’intégrer Magnum. Dans ce travail introspectif il répond à la question « Pourquoi photographier la guerre? ». Les guerres existent depuis que l'être humain existe. Et au fur et à mesure que les humains se civilisent, leurs méthodes destinées à exterminer leurs semblables deviennent plus efficaces et plus barbares. Aujourd'hui, le monde est toujours en guerre, et il y a peu de raisons d'espérer que cela change. Alors la photographie peut-elle avoir une incidence sur le comportement humain qui traverse l'histoire? Une ambition ridiculement prétentieuse, et pourtant, c'est justement cette ambition qui le motive à photographier la guerre. Il explique que selon lui la chance de la photographie réside dans sa capacité à éveiller un sentiment d'humanité. Si la guerre est la conséquence d'un échec de communication, la photographie, en tant que moyen de communication et utilisée à bon escient, peut devenir l’antidote de celle-ci. Nachtwey avoue partir à la guerre pour faire savoir au monde ce qui s'y passe réellement. Ainsi il va même jusqu’à avancer qu’à sa manière, il négocie la paix. « C'est peut-être la raison pour laquelle les belligérants n'aiment pas la présence des photographes. » écrit-il.
Il ajoute : « Si chaque être humain pouvait voir de ses propres yeux, ne serait-ce qu'une seule fois, les effets du phosphore sur le visage d'un enfant ou un éclat d'obus arrachant la jambe de l'homme à côté de lui, tout le monde devrait finir par comprendre qu'aucun conflit du monde ne justifie de tels actes contre des êtres humains. » Mais justement, tout le monde ne voit pas cela de ses propres yeux, c'est pourquoi les photographes partent pour le front, afin de réaliser des images suffisamment authentiques pour corriger les présentations enjolivées des mass-médias. L’autre raison est que cela sort les gens de leur apathie, pour dénoncer et pour se mobiliser.
Dans cette réflexion, il concède clairement avoir un grand problème auquel il est confronté dans son travail de reporter de guerre. Il craint de profiter de la détresse des autres. Cette pensée le hante car il sait que s’il laisse sa carrière et l'argent prendre le dessus sur sa compassion, il vendra son âme. Il dit à ce propos : « Une personne extérieure comme moi, qui actionne soudain l'appareil photo, risque de violer la dignité humaine. La seule chose qui le justifie, c'est mon effort pour respecter la souffrance de l'autre. Ce n'est qu'en y parvenant que je peux me faire accepter par l'autre, ce n'est qu'en y parvenant que je peux m'accepter moi-même… »
Les images de James Nachtwey sont visibles sur son site : http://www.jamesnachtwey.com/