Catherine Leroy

Intrépide et décidée :

Catherine Leroy est née le 27 août 1944, à Sannois, près d’Enghien, dans la région parisienne, durant une nuit de bombardements en pleine deuxième guerre mondiale. Vers l’âge de 17 ans, elle continue tant bien que mal ses études, et va en Angleterre pour les finir au lycée français de Londres. Puis elle revient en France, sans savoir très bien ce qu’elle allait faire. Elle galère deux ou trois ans. Puis elle croise le frère d’une de ses amies qui est photographe, ce qu’il fait l’intéresse... Voici comment au milieu des années 60, une jeune femme intrépide et décidée, part courir le monde pour photographier les conflits majeurs de son temps, du Vietnam au Moyen-Orient. Un jour Catherine achète un appareil et commence à faire des photos. Elle a aussi des amis journalistes dans ses relations et veut faire comme eux sans savoir comment jusqu’au jour où elle décide de partir pour le Vietnam !


Direction Saigon :

C’est en février 1966 que Catherine quitte Paris pour Saigon via Vientiane, la capitale du Laos. Elle a seulement 21 ans, un aller simple en poche, une centaine de dollars et un Leica M2 tout neuf. Elle commence vraiment à travailler sérieusement à partir d’août 1966. A ce moment-là, elle parvient à se faire accréditer auprès du bureau d’Associated Press (AP) de Saigon, elle part en opération 5 jours par semaine et travaille bien pour AP jusqu’en septembre 1967 ; exactement un an. Deux semaines après la bataille pour la colline 881, elle est grièvement blessée alors qu’elle suit une unité de Marines dans la zone démilitarisée en mai 1967 dans la région de Con Thien. Ensuite en novembre 1967, depuis qu’elle est revenue des Etats-Unis, elle travaille pour l’agence Black Star. Puis elle va repasser quelques années sur le terrain à couvrir le conflit du Vietnam sans crainte de s’exposer. En 1968, retenue brièvement en otage à Hué avec son confrère François Mazure pendant l’offensive du Têt par des soldats nord-vietnamiens, elle repart avec un reportage exclusif sur les forces adverses et fait la couverture de Life. Sa détermination produit des images puissantes, certaines publiées dans les plus grands magazines internationaux. Catherine est surtout la première femme et l’unique photographe civil à sauter en parachute avec des militaires américains au Vietnam pendant les combats lors de la vaste opération aéroportée « Junction City ». Elle est aussi en 1967 la première femme étrangère à se voir attribuer par les Etats-Unis, dans la catégorie photographie d’actualité, un prix George Polk qui couronne le journalisme de l’audace.


Prise en otage à Hué :

Voici un extraits de l’interview de Catherine Leroy par Marcel Giuglaris, le 7 mars 1968, suite de son retour de captivité à Hué, pendant l’offensive du Têt : « Nous étions partis depuis Phu Bai le 1er février 1968 après un briefing fait par un général américain. Nous étions en tout une douzaine, dix journalistes américains et deux français, François Mazure de l’Agence France-Presse et moi. Le général s’était montré optimiste. Il nous avait dit que la route de Phu Bai jusqu’à Hué, environ 17 km, était ouverte, que les Marines la gardaient sur tout son long. D’après lui, il n’y avait plus que quelques poches de résistance nord-vietnamienne qui ne pouvaient pas tenir plus de trois jours par manque de ravitaillement. Nous portions un drapeau blanc et de grands papiers écrits sur nos poitrines pour dire « PHAP BAO CHI BA LE » (presse française de Paris). Cinquante mètres plus loin, nous nous sommes fait faire prisonniers. Il y avait environ une quinzaine de nord-vietnamiens dont trois se sont précipités sur nous. Ils nous ont menés dans un jardin, nous ont retiré nos caméras et attaché les mains derrière le dos. François avait une lettre écrite en vietnamien par le prêtre disant que nous étions deux journalistes français venus de Paris. On avait l’impression qu’ils ne comprenaient pas. Nous criions sans arrêt « PHAP BAO CHI BA LE ». Ils nous regardaient sans rien dire. Ils n’étaient pas brutaux, pas violents. Ils étaient tout simplement déterminés. Pendant une vingtaine de mètres nous avons marché avec deux AK47 dans le dos. Nous avons eu le sentiment que si nous faisions trois pas en arrière, ils nous descendraient comme des chiens. Puis on nous a détachés, rendu nos appareils. Nous avons parlé avec ce Français qui nous a expliqué qu’il était là depuis deux jours. Il riait nerveusement. Visiblement il était mort de trouille. L’une de ses filles avait l’air d’avoir 20 ans en fait elle n’en avait que 15 mais elle était vieillie de peur. J’ai demandé à faire des photos. La femme a traduit en vietnamien. L’officier a dit “oui”. J’ai trouvé que c’était absolument extraordinaire puisque jusqu’à présent, même parmi les journalistes communistes, personne n’a jamais réussi à faire des photos d’une unité nord-vietnamienne au combat au Sud Vietnam. Cela ne s’est pas encore vu dans l’actualité…. »


Première femme à recevoir la médaille Robert Capa :

Elle rentre à Paris en 1969 mais ne se réadapte pas à la vie de la capitale, souffrant sans doute d’un syndrome posttraumatique. Elle dira : « Je ne pouvais plus dormir la nuit parce je n’entendais plus un tir d’artillerie, je n’entendais plus les salves habituelles. Et puis, parler c’était bien compliqué. Comment veux-tu que je raconte à mes parents ce qui se passe au Vietnam ? La guerre c’est quelque chose tout en couleurs. C’est la guerre qui se passe dans un pays qui a une atmosphère spéciale qu’on ne peut pas expliquer. En fait, quand on rentre, on n’a pas grande chose à dire. Les gens vous pressent de questions auxquelles on ne peut pas répondre. Mais aussi ils vous disent : Et alors, les Américains ? Pourquoi ils n’y arrivent pas ? Que peut-on répondre ? ». Pour changer d’air elle part pour le festival de Woodstock, où elle fait quelques photos et cherche surtout à décompresser. Elle vit aux Etats-Unis entre Los Angeles et New York. Elle réalise avec Frank Cavestani un film documentaire intitulé « Operation Last Patrol » sur Ron Kovic et les anciens combattants américains opposés au conflit, qui se rendent en convoi de Los Angeles à Miami pour perturber la Convention républicaine en 1972. En 1975 elle rejoint à Beyrouth son compagnon Bernard Estrade, correspondant permanent de l’AFP. Elle couvre à Saigon la chute de la ville aux mains des forces nord-vietnamiennes. Elle sera également la première femme à recevoir la médaille d’or Robert Capa, prestigieuse distinction américaine décernée au meilleur reportage photographique requérant un courage et un esprit d’initiative exceptionnels pour sa couverture de la guerre civile au Liban, en 1976. L’année suivante elle retourne à Paris d’où elle parcourt le monde pour réaliser des reportages sur les grands événements et les conflits mondiaux. Elle diffuse son travail via les agences Gamma puis Sipa Press. En 1982 elle couvre de nouveau la guerre civile au Liban au moment du massacre des Palestiniens des camps de réfugiés de Sabra et Chatila par les phalangistes chrétiens. En 1983 elle se sépare de Bernard Estrade et va s’installer à Los Angeles. La même année elle participe à la parution du livre God Cried (Dieu a pleuré) chez Quartet Books, livre qui restitue une description du siège de Beyrouth ouest par l’armée israélienne en 1982, livre qu’elle a écrit avec Tony Clifton. En 1987 la National Press Photographers Association (NPPA) aux Etats-Unis lui attribue le prix de la photo de l’année (Picture Of the Year) pour son reportage sur le bombardement de Tripoli en Libye.


Une photo de guerre, une question de vitesse et de sensibilité :

Alors que les mouvements de libération de la femme en sont encore à leurs balbutiements, ce poids plume (1,48 m pour à peine 40 kg), né dans un milieu bourgeois catholique très traditionnel, a dépassé les tabous les plus résistants pour suivre les Marines américains au Vietnam lors d’innombrables opérations. Partageant leur quotidien dans la chaleur et la boue de la jungle, elle a réalisé d’extraordinaires reportages photographiques et ouvert la voie à ses consœurs d’aujourd’hui qui opèrent dans les points chauds du globe, de l’Afghanistan à la Syrie, du Yémen au Soudan. Entreprenante et intrépide, cette femme menue à l’apparence fragile s’est toujours trouvée au cœur de l’action. Elle déclarera l’amour de son métier ainsi : « Je fais ce métier par amour. Je crois que j’adore ce métier. Ma vie au Vietnam est assez fantastique. Il y a dans la guerre quelque chose qui ne se trouve nulle part ailleurs, une sorte de fraternité, de camaraderie, d’amitié pure, d’amitié de soldat. Les soldats sont mes copains. Je les aime bien. Je suis heureuse et je les aime parce que je vais dans des coups avec eux, parce que j’ai marché avec eux, parce qu’on a des souvenirs communs, parce que quand on se revoit trois mois plus tard on raconte l’opération de la cote 1004, 852 ou 881 où il s’est passé tellement de choses, les plus incroyables, les plus tristes, mais qui ensuite deviennent mirifiques. On ne se rappelle que le bon côté, le côté héroïque des choses. Quand on fait une photo de guerre, je crois qu’il se passe tellement de choses extraordinaires autour de nous que c’est uniquement une question de vitesse et de sensibilité. Il faut être choqué. Il faut qu’il y ait un choc qui se produise et que cela se passe dans l’espace d’une seconde, que l’on ressente quelque chose, que l’on soit dérangée, remuée. C’est quelque chose qui se fait avec de la sensibilité. »


Under Fire :

En 2002 elle crée le site internet « Under Fire : Images from Vietnam » dédié aux plus grands correspondants de guerre du Vietnam parmi lesquels ses confrères David Burnett, Larry Burrows, Gilles Caron, Henri Huet, Don McCullin, Tim Page, et Nick Ut, avec des textes de journalistes et écrivains tels que Phil Caputo, Jean-Claude Guillebaud, David Halberstam, Jean Lacouture, Tim O’Brien et Neil Sheehan. Ce site n’existe plus hélas aujourdhui. En 2005 Random House publie son livre « Under Fire - Great Photographers and Writers in Vietnam ». Elle réalise également son dernier reportage pour Paris Match à l’occasion du 30ème anniversaire de la fin de la guerre du Vietnam en photographiant chez lui, près de 40 ans plus tard, l’ancien infirmier de la US Navy Vernon Wike, sujet de son image la plus connue, la colline 881. En 2006 Catherine Leroy meurt d’un cancer le 7 juillet à Los Angeles où elle vivait, en Californie.


Voici un site qui montre une partie de son travail : https://dotationcatherineleroy.org/fr/


Quelques unes de ses photographies sont dans le portfolio :