Sebastián Liste

Une ascension rapide :

Sebastián Liste est né à Alicante, en Espagne, en 1985, il a grandi en Uruguay et fait des études de sociologie et de journalisme à Barcelone. Il vit désormais entre l’Espagne et le Brésil. Le travail documentaire de Sebastián s'est concentré sur les vies de communautés les plus diverses dans le monde entier. Avant 2009, il avait déjà visité plus de 20 pays parmi lesquels le Laos, l'Éthiopie, le Mexique, le Mali, Cuba, ou le Népal. Dans ses pays il monte des projets visuels basés sur sa connaissance profonde des questions sociales. Aujourd’hui c’est un jeune photographe très doué et spécialisé dans des documentaires où il attache une grande importance à l’aspect sociologique. Il aime par exemple traiter de la vie contemporaine en Amérique latine comme dans l’excellent reportage sur l’après Chávez au Venezuela. En 2011 il réalise une série de photographies intitulée « Bahia ». La motivation de ce travail est la reconstruction des liens émotionnels et spirituels que l'homme a avec la nature de Bahia, dans le Nord-est du Brésil. Ici, une relation biologique et organique du monde indigène coexiste avec l'univers charnel et spirituel apporté par les esclaves, il y a des siècles. Il travaille également dans la zone de la mer Méditerranéenne, région où il a grandi et qu’il connait bien, pour preuve un joli sujet qu’il réalise en 10 jours à Istanbul durant l’été 2011.

Mais ce qui le fait connaître c’est l’immersion qu’il va mener en passant deux années dans une usine désaffectée du Brésil. Cette ancienne chocolaterie peuplée d’exclus est située en bord de mer, au sud de Salvador dans la ville basse, à quelques dizaines de mètres de la colline de Bonfim très visitée. Il observe et fige cette étrange communauté en noir et blanc avec le regard du sociologue et y effectue entre 2009 et 2011 plusieurs allers et retours. Il donnera le nom de « Urban Quilombo » à ce travail. Avec ce projet il sera lauréat du prix Ian Parry 2010, et sera choisi pour l’édition 2011 du World Press Photo Joop Swart Masterclass à Amsterdam. Et ainsi, les cadrages de ce talentueux photographe espagnol placent Salvador de Bahia au cœur du plus important festival international de photojournalisme qui lui a valu le Prix Rémi Ochlik de la ville de Perpignan en 2012. Depuis son travail est régulièrement publié dans des magazines comme TIME Magazine, Sunday Times Magazine, Burn Magazine, Photo District News, Private Photo Review, British Journal of Photography, Daylight Magazine, GUP Magazine ou Hotshoe Magazine… En 2012 encore, il a reçu une subvention de Magnum pour développer son nouveau projet dans l’Amazonie brésilienne.


Sa signature :

Avec son Canon 5D Mark II Sebastián fait des miracles, ses clichés en noir et blanc au traitement très caractéristique sont de vrais coups de poings ! Les noirs très prononcés participent à poser le sujet et à nous faire plonger de plain-pied dans l’histoire. Ce noir si prononcé, parfois même à la limite du bouché, est sa signature, sa carte de visite. Un style brutal qui claque, des prises de vue à l’ambiance sombre et aux détails très accentués sont de véritables hommages à la dureté et à l’âpreté de la rue. On retrouve cette constante dans de nombreux sujets qui curieusement traitent tous d’une vie dure, d’un combat et d’une identité. Le monochrome est une évidence tant les images qu’il emmagasine restituent la vérité sans superficiel, sans trompe l’œil. En regardant son travail, bien que plus sombre, je ne peux m’empêcher de penser aux gitans de Josef Koudelka ou à certains clichés de Zavala.


Le projet Urban Quilombo :

Quilombo, à l’époque du Brésil colonial, désignait un lieu de résistance organisé politiquement, administrativement et militairement, par les esclaves en fuite. L’expérience Urban Quilombo commence lors d’un premier voyage au Brésil. Un ami lui présente les habitants d’une l’usine. Il va souvent les voir et s’intéresse à eux, à leur situation, au lieu. Des liens d’amitié se créent mais il n’était pas alors encore question d’en faire un sujet photographique. A la fin de son master de photojournalisme, en 2009, une bourse en poche, Sebastián repart au Brésil, à Salvador de Bahia. Son appareil photo dans les bagages, il loue un petit appartement très modeste dans le centre de la ville. Quand il retourne voir ses amis à l’usine, il a l’agréable surprise de découvrir un endroit préparé par ses amis pour y vivre, il s’installe donc sur place. Sebastián Liste partage alors leur quotidien intensément et vit les conditions extrêmes de ces dizaines de familles. Les habitants ne l’ont jamais rejeté malgré cette longue immersion et sa grande proximité. Il a vécu les disputes conjugales, échangé avec les femmes qui boivent des bières, assisté à des parties de billard, à l’anniversaire d’une petite fille, côtoyé les adolescentes qui sniffent… Il y avait beaucoup de violence mais pourtant il n’en a jamais été la cible. Les seuls problèmes qu’il a rencontrés, étaient avec des gens de l’extérieur qui venaient à l’usine acheter de la drogue.

Retour à la naissance de Quilombo. En 2003, une soixantaine de familles fuient la violence des rues dangereuses de Salvador de Bahia, au Brésil, pour s'installer dans les bâtiments délabrés d'une ancienne chocolaterie, le « Galpao da Araujo Barreto ». Au fil du temps, tandis que les premiers occupants sont rejoints par des dizaines d'autres, l'usine en ruine devient un lieu de vie, où les problèmes de drogue, de violence et de prostitution sont gérés au sein de la communauté, sans intervention extérieure. Avant de s'établir à cet endroit, ces familles ont vécu un peu partout dans les rues les plus dangereuses de la ville. Puis elles sont venues prendre possession de l’usine déserte et y ont établi leurs maisons. Au fil des années la communauté a grandi jusqu'à compter près de 130 familles. Ainsi est née, à l'abri de ces murs un « Urban Quilombo » d'un genre inédit, avec ses droits et ses devoirs, dont les membres les plus vulnérables sont assurés d'une protection collective.

Plusieurs  raisons ont mené ces familles en ce lieu. D’abord l’insécurité grandissante dans les rues des plus grandes villes du Brésil où la violence endémique force les habitants à chercher la fuite. Ensuite, la difficulté d'accès au logement dans un pays où la spéculation immobilière est à un des niveaux les plus hauts dans le monde. La majorité des nouveaux occupants est constituée de jeunes, venant surtout de grandes familles cassées par les problèmes d'alcoolisme, de violence et de toxicomanie. Abandonnés enfants, ils ont trouvé refuge à l'usine abandonnée après plusieurs années de survie dans les rues des favelas. Beaucoup de ces familles avaient déjà migré plusieurs dizaines d’années plus tôt pour quitter la campagne en espérant trouver un avenir prospère à la ville. Hélas, elles ont été rapidement marginalisées et sont tombées dans une extrême pauvreté. Quelques uns des membres de cette communauté ont réussi à trouver un emploi stable dans le centre ville, mais la grande majorité vit du travail précaire de la rue (recyclant les déchets, vendant de la nourriture et des boissons sur les côtes, ou commettant de petits larcins pour survivre). D’autres ont travaillé comme petits trafiquants de drogue en vendant surtout du crack. Le prix d'un caillou dépend de beaucoup de facteurs imprévisibles, comme la gravité des symptômes de manque du client ou la présence policière. Beaucoup de filles de cette communauté travaillent comme prostituées pour joindre les deux bouts ou alimenter leur toxicomanie.

En mars 2011, le gouvernement a expulsé toutes ces familles et a démoli la chocolaterie. A l’approche du Mondial de football et des Jeux olympiques, on a fait place nette dans les favelas. Sebastián retourne régulièrement au Brésil pour voir les familles.La plupart des personnes photographiées, vivent aujourd’hui dans le quartier pauvre au nord de Salvador, aux alentours de l’aéroport. Ils occupent des maisons neuves du programme fédéral “Minha casa, Minha vida”, de “Jardim das Margaridas“, au nord de Salvador, aux alentours de l’aéroport.


Pour découvrir une partie du travail de Sebastián Liste, je vous invite à vous rendre sur son site : http://www.Sebastianliste.com/


Quelques unes de ses photographies sont dans le portfolio :