Le photographe russe Roman Vishniac est né en 1897, à Pavlovsk près de Saint-Pétersbourg. Issu d’une famille juive aisée, il grandit à Moscou. En 1904, pour son septième anniversaire, il reçoit un appareil photo et un microscope. Dès lors il étudie la biologie et la zoologie, il teste différents objectifs et grossissements, et photographie les résultats de ses expériences. En 1917 après la prise du pouvoir par les bolcheviks ses parents quittent la Russie pour l’Allemagne tandis que Roman reste à Moscou pour continuer ses études en biologie à l’institut Chaniavski. Il se passionne pour la photographie. En 1920 il s’exile à Riga et épouse Luta Bagg, originaire de Lettonie. Le couple émigre à Berlin, capitale de la République de Weimar. Dès lors Roman Vishniac est un membre actif de plusieurs clubs amateurs berlinois de photographes. Il aménage un laboratoire photo entièrement équipé dans son appartement de Wilmersdorf, un quartier où réside une importante communauté de juifs russes fortunés. Il poursuit ses recherches en microbiologie, tout en devenant un photographe de rue accompli. Dans le même temps il sera l’heureux papa d’un fils Wolf en 1922 et de Mara sa fille en 1926.
En 1933 Adolf Hitler est nommé chancelier du Reich, l’ouverture du premier camp de concentration à Dachau est annoncée par Heinrich Himmler le 20 mars et des prisonniers y sont amenés dès le lendemain. Avant la montée du nazisme, Roman Vishniac, qui a abandonné ses études de médecine pour se vouer à sa passion, baigne dans la vitalité artistique de Berlin : il photographie les cafés, les passants, l'effervescence urbaine. Des laveurs de vitres sur leur échelle lui offrent l'occasion de cadrages modernistes osés, influencés par les avant-gardes allemandes. Une belle insouciance qui s'efface avec l'arrivée au pouvoir des nazis. Sur Hitler, Vishniac ne se fait aucune illusion : il a déjà connu l'antisémitisme en Russie, où il a grandi sous le régime du tsar. Et il a lu Mein Kampf. « J'ai pris conscience que la véritable intention d'Hitler était d'assassiner des millions de juifs. Mais ceux à qui j'ai parlé de cette menace ne m'ont pas pris au sérieux », a-t-il raconté dans un entretien avec la journaliste Monique Atlan, en 1983. C’est à Berlin en 1933, que Roman Vishniac prend sa fille Mara âgée alors de 7 ans, elle pose devant une vitrine qui expose une affiche ornée d'une croix gammée. La boutique vend des instruments qui prétendent détecter le « caractère aryen » des individus en mesurant leur crâne. A cette date, Roman Vishniac, n'a déjà plus le droit de prendre des photographies dans la rue. Alors il fait poser sa fille pour ne pas éveiller l'attention. A partir de 1933, seuls les photographes « aryens » sont autorisés à prendre des photos en extérieur. Roman Vishniac qui avait collectionné les images de la vie animée et insouciante de Berlin observe les signes de la vague brune qui saisissent la ville. Longtemps après, Mara Vishniac se souviendra de cette enfance avec effroi : « Je savais que j'étais en danger et que, s'il m'arrivait quelque chose, mes parents ne pourraient pas me protéger ni me venir en aide. C'était la vie de tous les jours. »
Entre 1934 et 1938 Vishniac photographie l’action des organisations juives allemandes de secours qui opèrent à Berlin sous le régime nazi. Il vit la promulgation des lois de Nuremberg qui font que les juifs sont soumis à d’innombrables mesures discriminatoires. Le boycott des commerces juifs et d’autres restrictions visant les juifs s’étendent à la Pologne. A la demande de la plus grande organisation juive d’entraide dans le monde, l’American Jewish Joint Distribution Committee il photographie les communautés juives appauvries d’Europe orientale. En 1938 l’Allemagne annexe l’Autriche. Vishniac est chargé de photographier les milliers de juifs déportés d’Allemagne qui échouent dans la petite ville de Zbaszyo, à la frontière polonaise. Dans la nuit du 9 au 10 novembre, des synagogues, des biens et des commerces juifs sont saccagés dans toute l’Allemagne lors de la « Nuit de cristal ». Environ 30 000 juifs sont ensuite arrêtés et envoyés dans des camps de concentration. Les photographies des communautés juives d’Europe orientale prises par Vishniac sont exposées dans les locaux de l’organisation à New York. C’est la première fois que son travail est montré aux États-Unis. Vishniac réalise pour le Joint deux films muets sur les juifs de Ruthénie subcarpatique et de Galicie. Ces films sont perdus durant la guerre, mais des rushes écartés du montage final referont surface des années plus tard. L’Allemagne et l’Union soviétique signent un pacte de non-agression en 1939 et l’Allemagne envahit la Pologne, c’est l’instauration du premier ghetto juif en Pologne. Deux jours plus tard, la Grande-Bretagne et la France déclarent la guerre à l’Allemagne. Répondant à une commande du Joint, Vishniac séjourne aux Pays-Bas pour photographier le Werkdorp Wieringen, un camp de préparation à la vie agricole où, dans l’attente de visas pour la Palestine, de jeunes juifs allemands reçoivent un enseignement adapté. Vishniac s’installe en France comme photographe indépendant. Sa femme Luta s’efforce d’obtenir des visas d’émigration pour toute la famille. Mara est mise à l’abri en Suède ; son frère Wolf l’y rejoint peu après. De Paris, Vishniac se rend à Nice, où sont réfugiés ses parents. Il réalise un film documentaire sur une école professionnelle de l’Organisation Reconstruction Travail (ORT) à Marseille ; ce sera sa dernière mission photographique pour le Joint jusqu’à son retour en Europe. Car contrairement à la plupart des personnes qu'il a photographiées, Roman Vishniac a pu fuir la barbarie nazie. Arrêté en 1939 parce que ressortissant d'un pays ennemi, il est interné au camp du Ruchard, en Indre-et-Loire, d'où son épouse parvient à le faire sortir.
La France capitule en 1940 et c’est l’instauration du régime de Vichy. A Paris, Vishniac confie ses négatifs à son ami Walter Bierer, qui lui promet de les emporter aux États-Unis. Vishniac fuit encore, il retrouve Luta, Wolf et Mara à Lisbonne. Ils embarquent tous les quatre sur le SS Siboney à destination de New York. Les Vishniac arrivent à New York le 1er janvier 1941. Vishniac ouvre un studio dans son appartement de l’Upper West Side à Manhattan ; il se spécialise dans le portrait et tente de se faire connaître comme photographe scientifique. Au cours des dix années suivantes, il effectue diverses missions photographiques pour le compte d’organisations juives américaines. Les parents de Vishniac vivent cachés dans le sud de la France. Walter Bierer arrive aux États-Unis, via Cuba, avec les négatifs de Vishniac en 1942 ; ils sont confisqués par les douanes. Après une longue procédure, les négatifs sont restitués à Vishniac, qui aussitôt commence à les exposer et à les publier. Deux expositions importantes ont lieu à New York ; en 1943 « Children of Want and Fear in Europe Before the War » (Enfants de la misère et de la peur dans l’Europe d’avant-guerre), en 1944 « Pictures of Jewish Life in Prewar Poland » (Images de la vie juive dans la Pologne d’avant-guerre).
Le 7 mai 1945, c’est la capitulation de l’Allemagne ! L’armée soviétique libère le camp d’Auschwitz. La reddition du Japon en septembre met fin à la Seconde Guerre mondiale. Le YIVO Institute organise une nouvelle grande exposition des images de Vishniac « Jewish Life in the Carpathians » (Vie juive dans les Carpates). En 1946 Vishniac devient citoyen américain. En 1947 à la demande du Joint, Vishniac retourne en Europe et photographie les camps pour personnes déplacées. Il photographie également Berlin, son ancienne ville d’adoption à présent en ruines. Ses images des shtetls, ces communautés villageoises juives d'Europe centrale, publiées dans le livre « The Vanished World » (Le monde disparu, 1947), sont devenues les emblèmes d'un passé funèbre de la seconde guerre mondiale. Roman Vishniac meurt en 1990 à New York, à l’âge de quatre-vingt-douze ans.
Voici un site très intéressant consacré à Roman Vishniac : http://vishniac.icp.org/